Bandes dessinées / Mangas, Coups de cœur

Le veilleur des Brumes / Robert Kondo & Dice Tsutsumi / Bande d’Ados

« Je crois que je connais un peu mieux… ce garçon que j’ai été… et celui que je suis devenu… »

Cela fait un petit moment que j’ai terminé l’intégrale de cette bande dessinée mais l’émotion est toujours intacte, merveilleuse quoiqu’un peu pudique, lorsque je la reprends dans mes mains. Juste avant de commencer à écrire cet article, j’ai touché ce livre, j’ai caressé la couverture avec amour et délicatesse comme si je lui disais merci. Merci à ce livre, merci à ses auteurs, merci à ce petit cochon -héros malgré lui- de m’avoir tant offert durant ces pages. Un peu de rêve mais surtout énormément d’espoir. Espoir pourquoi ? Pour quoi ? Pour l’après, après l’obscurité.

J’ai lu cette bande dessinée juste avant de perdre un être cher. Une personne avec qui je ne partageais pas le même sang mais avec laquelle j’étais liée par une sensibilité, un regard sur le monde, une évidence. Merci la vie. Je lisais cette bande dessinée et je savais, je savais que j’allais perdre cette personne bientôt. Et c’est fou comme parfois tout arrive à un moment donné, précis, ou peut-être pas d’ailleurs, mais tu as envie d’y croire, tu crois pas ? Qu’importe, j’ai lu ce récit et tout comme le héros, j’ai dit aurevoir, je lui ai dit aurevoir puis je me suis laissée envahir par cette dernière page, par cette aube qui annonce l’espoir et une vie autre. Pas une nouvelle vie. Une vie autre. Dans laquelle on est toujours ce que l’on est, mais avec, en sus, ce sentiment puissant de gratitude. Qui te fait voir les choses belles, qui te pousse à remercier et à te sentir plus fort, plus grand.

Rembobinons, s’il vous plaît. Pardon. De la noirceur, il y en a, dans ce récit. Elle est symbolisée par les brumes qui menacent le village de Val-de-l’Aube dans lequel ses habitants vivent insouciamment. Sauf Pierre qui, suite au décès de son père, est devenu veilleur des Brumes. Il lui incombe la tâche de s’occuper du barrage, dernier rampart contre cette marée d’ombres, marée mortelle. Les villageois ont oublié, depuis le temps. Lui ne peut pas. Oublier. Car tout dépend de lui. Tous ses autres camarades s’amusent, font des bêtises, apprennent. Lui, il fait juste semblant car tout repose sur ses épaules. Cette résignation. Elle est omniprésente. Etouffante. Mais elle est.

Vous l’aurez remarqué, Pierre est un cochon. Et sa meilleure amie est une renarde. Et son autre ami/ennemi/ennemipasttantqueça/etfinalementgrandami est un rhinocéros. Les personnages sont des animaux mais c’est fou à quel point on finit par ne plus y prêter attention. On en a moins l’habitude quand on lit des « trucs de grands » mais après tout, l’anthropomorphisme, c’est un peu la base de la littérature jeunesse (et je me permets d’ailleurs de déposer ici la sempiternelle question « Quel animal est Tchoupi ? », c’est cadeau les parents) mais après ? Après quand on grandit ? Pourquoi on ne garde plus ce principe ? Parfois c’est le cas et ça donne de grandes oeuvres. La ferme des animaux. Maus. Mais c’est trop rare. On devrait davantage y revenir, à l’anthropomorphisme. Non ? Fin de cette parenthèse aux allures d’analyse littéraire du dimanche, oups du mercredi. Oupsi du jeudi, désormais.

Que se passe-t-il quand l’équilibre vacille ? Plus que cela, quand tout s’écroule ? Réponse : c’est le chaos.

Or, du chaos peuvent naître de très belles choses. Si tant est qu’on traverse et qu’on réussit les épreuves qui s’offrent à nous. Et comme dans toute aventure initiatique, le héros n’est pas seul même si c’est à lui de se dépasser lors des différentes épreuves. Pierre est accompagné de ses amis dans cette course contre la montre pour sauver leur village. Ils ont neuf jours pour éviter la catastrophe. Sinon le village -et la vie qu’ils ont toujours connue- seront détruits par les brumes.

En chemin, ces trois compagnons feront des rencontres déterminantes. Et trouveront des Ailleurs. Qui ressemblent aux leurs. Ils diront bonjour. Parfois avec méfiance. Ils diront aurevoir. Souvent avec reconnaissance.

Regardez, regardez comme c’est beau de dire aurevoir. Il y a des aurevoir qui veulent dire merci.

La force du récit est là. Dans cette image, ci-dessus. Elle réside en cette fraternité. Tout est là. Tout est dit. Illustré avec finesse, poésie. Nous sommes dans le sublime. J’ai tant pleuré à la lecture de cette bande dessinée. Car elle vient chercher en nous ce qui est fondamental. Elle nous montre le sens. On peut l’oublier, parfois. Après tout, c’est humain. Mais le sens, le vrai ? Il est là, en nous et ici devant nos yeux. C’est l’amour. Tout simplement. La famille, les amis. Tous. Nous vivons tous pour aimer. Nous sommes tous vivants parce que nous aimons. Bon ok, tout ça ça fait très religieux ou niais ou peut-être même que ça me rappelle les paroles de ma prof de yoga qui énonce que nous vivons parce que nous aimons tandis que je m’escrime à tenir l’équilibre de l’arbre. Mais n’empêche, c’est juste. Sans amour, à quoi bon vivre ?

Quant à cette quête du père, elle me touche d’une façon indescriptible mais c’est une autre histoire, que je vous partagerai peut-être un jour, ici ou là. Elle est cependant éternelle car elle renvoie à la question de l’identité propre à chacun. C’est une quête douloureuse, sans nul doute.

Mais qu’elle est belle lorsqu’elle est résolue, aussi dramatique en soit l’issue.

Toujours. Toujours autant d’émotions en lisant cette merveille. Je ne sais pas quoi dire de plus. Il y a tout, dans cette bande dessinée. C’est une épopée aux allures d’universel. Je ne peux rien ajouter de plus. Je ne sais pas quoi ajouter de plus.

Ou peut-être que si. Cette bande dessinée me donne envie de dire merci. De remercier ceux qui font de moi celle que je suis. Heureusement que l’art nous rappelle bien souvent que l’essentiel est là. Avec eux. Ma famille, mes amis. Mes amis qui sont ma famille.

Avec Elle.

Non, ce n’est pas un aurevoir. Tous comme le fait Pierre le cochon, je ne dis pas aurevoir, je dis merci. Merci J. Tu as fait partie de ma quête initiatique, de mon épopée, aussi modeste soit-elle. Tu m’as élevée avec tes mots au quotidien, ta joie à toute épreuve -c’est le cas de le dire- ton infinie bonté et ton altruisme exemplaire. Je suis un peu plus forte grâce à toi. Je peux le dire.

Je crois que je connais un peu mieux cette fille que j’ai été. Et celle que je suis devenue.

Je souris. Je sais que tu aurais lu cet article avec attention. Et, comme toujours, tu m’aurais dit que tu étais fière de moi. Tu aurais laissé un cœur sur une story. Tu aurais accordé de l’importance à mon univers que je présente virtuellement. Et tu m’aurais serrée dans tes bras, en vrai de vrai, tout me déclamant quelques mots d’amour qui sourient. Tu aurais laissé ici et là-bas un peu, beaucoup, de toi dans ma vie. Tu as laissé ici et là-bas un peu, beaucoup, de toi dans ma vie.

Il y a tant de choses à voir après le chaos. Je le sais, maintenant. Il y a ce lever de soleil qui m’attend. Il y a toi, d’une autre manière, il faut que je la trouve. Et il y a eux.

Pour toi, J. Merci.

Merci à l’association Croqu’Livre pour la découverte au groupe lecture Ados

Romans pour ados

J’ai égaré la lune / Erwan Ji / Nathan

Tu t’es déjà sentie vivante ?

Ce roman, cela faisait des mois qu’il prenait la poussière sur ma table de chevet improvisée. A noter, c’est un livre que j’ai emprunté dans mon CDI. Je me le suis emprunté à moi-même. Ce qui est assez cocasse, n’est-ce pas, alors que je suis la première à râler après les élèves tandis que je les pourchasse dans le couloir pour récupérer leurs prêts. Ne me jugez pas merci bien.

Pourtant, j’avais énormément envie de le lire, ce roman, puisqu’il fait suite au très réussi « J’ai avalé un arc-en-ciel » qui m’avait déjà marquée pour mettre si joliment et naturellement en scène l’homosexualité féminine. Mais, la vie fait que parfois, ce n’est pas le moment et hop, comme par enchantement ou, au contraire, comme une évidence, cette petite filoute de vie nous rappelle juste quand il faut qu’elle a ce qu’il faut. Quand j’ai entamé ce roman, j’avais besoin de beau, de liberté, d’évasion et d’un peu de folie. Je n’ai pas été déçue.

Le résumé, déjà. Il dit déjà tout ou du moins l’essentiel. Qu’est-ce que la vie, sinon tout ce qu’on n’a pas imaginé ? Comme Capucine, quand j’étais petite, je rêvais d’une vie à 20 ans que je n’ai clairement pas vécue. Maintenant que j’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup de recul – une bonne trentaine d’année de recul oui oui ça fait beaucoup- je peux le narrer avec -oui même avec- un sourire. A 20 ans, j’en étais à mon année +2 de ma dépression. Je me battais avec mes blessures, ma vie, moi-même, tout ceci dans une chambre de 9m2 au sein d’un campus universitaire pas joli joli. A 20 ans, j’essayais de me sevrer tant bien que mal d’un cocktail de médocs qu’un psychiatre qui n’avait de psychiatre que son nom m’avait prescrit avec un hummm de psychiatre et pas plus. Bref, à 20 ans je ressemblais davantage à Ewan Mc Gregor dans Trainspotting en mode je-vois-un-bébé-chelou-marcher-sur-les-murs-parce-que-suis-en-sevrage qu’à Mme future Claire Chazal, étudiante parisienne dans une grande école de journalisme, écumant les soirées et les amoureux avec joie et insouciance. Oui, petite je me voyais présentatrice du journal télévisé. Entre parenthèses, je ne m’imaginais pas le monde télévisuel comme une machine à fric bien pourrie et inégalitaire avec des présentateurs criminels. J’avais 7 ans, quoi. Bref, à 20 ans je n’étais pas la grande personne que je m’étais imaginée petite fille. Comme à peu près, 99,99 % des gens. Comme Capucine.

La transition entre l’enfance, l’adolescence et le monde adulte est sacrément difficile. Pas seulement parce que ce n’est pas cohérent avec tout ce qu’on avait imaginé ou si joliment tracé, dans nos petites têtes de petits enfants naïfs et innocents. Mais parce que s’offre à nous, à ce moment précis, tout un monde de responsabilités et d’inconnu. Autant vous dire que l’inconnu de Capucine est immensément grand. Car la voilà projetée à Tokyo, avec son amoureuse. A deux et avec un amour comme le leur, tout est possible et kiffant mais quand Aiden doit retourner en Californie et laisser malgré elle Capucine à Tokyo, ben là, ça devient carrément flippant.

Parce que Tokyo, quoi. Je ne vais pas vous mentir, jamais je n’irai. Trop de monde, trop de tout. Capucine ne cache rien de cela. De cette immensité qui enivre, qui dynamise autant qu’elle donne le tournis. Mais notre jeune héroïne nous fait découvrir la ville comme aucune guide touristique ne le fait : avec son regard de jeune expatriée qui ne connaît ni la langue, ni les coutumes, ni le quotidien. Et il y a là quelque chose de grisant, de chouette. Cela ferait presque pencher la balance du bon côté : celui qui te fait oublier que tu vis dans une métropole de 14 millions d’habitants et que tu fais ta vie sur une faille géante. Sismiquement parlant, ça n’a pas l’air hype. Mais Capucine rend tout cela délicieusement appréciable et drôle, tellement drôle. Elle arrive à faire de ses déconvenues et de ses maladresses des moments insolites mais joyeux. C’est le pouvoir de l’auto-dérision.

« Et puis j’ai souri aussi parce que c’était la première fois depuis mon arrivée à Tokyo que quelqu’un me demandait ce que je faisais un vendredi soir. C’est un marqueur social, je trouve. De touriste à résidente, d’une certaine façon, ma vie tokyoïte décollait »

Et puis Capucine nous fait découvrir cette vie tokyoïte comme personne : les konbini, ces supérettes ouvertes jour et nuit (à Miami, il y a des palmiers, à Tokyo il y a les konbini), les izakaya (sorte de bistro dans lequel vous pouvez croiser des salarymen, des hommes en costume cravate qui finissent de travailler tard et qui aiment boire de l’alcool pour oublier qu’ils ont fini de travailler tard), les jiko bukken (ça c’est chelou, ce sont les maisons dans lesquelles il s’est passé une mort bizarre, les maisons qui se trouvent près d’un cimetière, ce genre de joyeusetés). Quant à la gastronomie japonaise, elle n’a plus de secrets pour nous lecteurs. Mieux -ou pire, à voir- vous aurez envie de trouver la première épicerie asiatique du coin et de vous gaver de Udon (des pâtes épaisses qui trempent dans du bouillon), de natto (bon ça c’est seulement si l’idée de manger des haricots de soja fermentés vous fait kiffer) ou encore d’okonomiyaki (sortes de pancakes-omelettes japonaises délicieuses, dixit Capucine, on la croit). Tout ceci n’est qu’un aperçu de toutes les petites et grandes découvertes de Capucine, durant les quelques mois passés à Tokyo. Ça donne terriblement envie.

Lorsqu’Aiden, sa petite amie, est contrainte de quitter la capitale japonaise pour la Californie, la plus grande découverte que fera Capucine sera spirituelle et clairement à vocation initiatique. Car quelle meilleure ou pire manière de se découvrir soi-même que lorsqu’on se retrouve perdue dans une ville qui est étrangère jusqu’à la langue parlée. Ouaip. Capucine n’est cependant pas seule puisqu’elle intègre une colocation en mode « auberge japonaise » qui pourrait sans nul doute faire de l’œil à Cédric Kaplisch pour un quatrième volume au cinéma. Si jamais vous avez l’idée d’un titre… Je l’aime bien, cette coloc. Personne n’y est parfait mais tout le monde y est parfaitement à sa place. C’est un si joli paradoxe. Il y a quelque chose de beau à être témoin de leur vie qui se forme dans le petit cocon qu’il ont créé et qui ne ressemble qu’à eux. J’ai aimé observer Lubin réaliser des tableaux Excel que lui seul semble comprendre, Koji avec ses orteils nus sur le tapis, Zenos qui peint debout au milieu du salon, Soo-Jin qui cache sa fragilité sous une capuche et Babar-la-big-boss-de-la-maisonnée qui traduit une lettre trouvée dans la maison.

Je ne vous ai pas encore parlé de cette lettre. Il faut que je vous parle de cette lettre. Laquelle offre au récit une intensité dramatique inattendue. Je vous le dis, je ne m’en remets pas. Gros choc émotionnel. Elle est datée du 30 avril 1955 et narre le bombardement de Tokyo du 10 mars 1945. 279 bombardiers. 100 000 japonais tués.

« Je m’en souviens comme si c’était hier. Les bras tendus comme des ailes, tu vins te cogner contre les jambes de ta soeur, produisant le son d’une explosion, puis tu te roulais par terre, et éclatas de rire lorsque Eiko te chatouilla. Tu n’avais pas encore trois ans ; la gravité de la situation t’échappait ».

3 ans, c’est l’âge de mon fils. Mon tout doux. Qui vit dans son monde de voitures volantes et de bateaux géants. Qui rigole quand on dit « gnokikis ». Qui chante « vite vite il faut se réveiller c’est la rentrée cheveux en pééééétard un peu dans le brouillard toilette de chat un peu raplapla » et qui mime le tout comme si c’était De Niro en plein cours d’actor studio. C’est ça voir 3 ans. Ce n’est pas devoir échapper à la mort.

Je ne vous en dis pas plus, de cette lettre. Elle a toute son importance au sein du récit et dans la vie de Capucine.

Bon. On retrouve ici, sur ce blog, mes avis complètement déstructurés. Donc j’enchaîne ! Ce que j’ai également beaucoup aimé dans ce roman, ce sont toutes les réflexions que l’on peut avoir sur l’amour. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas linéaire l’amour. Cela ne correspond pas à une seule et même image, un homme un femme des enfants et ils vécurent heureux. Cela peut tout à fait être deux femmes qui s’aiment ou deux hommes. Mais pourquoi se poser des questions, en fait ? Est-ce que ce ne serait pas juste de l’amour et puis c’est tout ? Ben oui. Et c’est déjà ce que j’avais aimé dans « J’ai avalé un arc-en-ciel », le volume précédent. Le fait que l’homosexualité ne soit pas traitée comme un problème avec tout son lot de dramas. Dans le premier tome, Capucine comprend vite qu’elle est amoureuse d’Aiden, c’est tout naturel. Avant elle était amoureuse de Ben, et puis c’est tout. Elle avoue son ressenti à ses parents qui l’acceptent sans aucun problème et puis c’est tout. Y a tellement de choses dans ces « et puis c’est tout ». Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les extrapolations incessantes des « gens » mais c’est Capucine qui s’en charge dans ce roman :

La liberté d’aimer. Voilà tout. Ce récit, c’est juste une magnifique ode à la liberté. Bien évidemment, ce n’est pas facile d’aimer librement. Cela n’empêche pas de ses poser mille questions. Quand Capucine se découvre des sentiments pour l’une de ses colocs (Soo-Jin, la fille fragile qui cache sa fragilité sous sa capuche), ce sont aussi toutes ses convictions qui vacillent. C’est si intelligemment décrit. Parce que celui/celle qui n’a jamais douté durant une relation amoureuse jette la première pierre à celui qui. J’ai rarement lu ça dans un roman. Tout semble toujours évident. Ou alors il y a un obscur triangle amoureux à résoudre du type Edward-Bellaquiminaude-Jacob, qui n’est pas transcendant (ne vous méprenez pas, j’ai été fan archi fan de Twilight durant ma jeunesse, je m’insurge surtout parce qu’il n’y a pas de débat possible hein, il n’y a jamais eu qu’Edward on est bien d’accord). Dans ce roman, c’est bien plus profond, c’est à la fois aussi doux que de tenir la main de Soo-Jin toute la nuit pour combler un vide que douloureux comme un baiser qu’on réfrène alors qu’on en a terriblement envie. Ce n’est pas l’une Aiden ou l’autre Soo-Jin et hop, on finit par choisir. C’est beaucoup beaucoup, beaucoup plus subtil. C’est joli, aussi.

« Soo-Jin était recroquevillée sur son futon au milieu de ses peluches. Elle pleurait dans les bras de Jean-Pierre. Ça m’a fait froid dans le dos. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Je suis allée m’assoeir à côté d’elle et j’ai posé ma main sur son épaule. Elle a serré Jean-Pierre plus fort (…) Ne sachant pas trop quoi faire, je lui ai parlé en français. Soo-Jin adore que je parle en français. J’ai récité Le Lion et le Rat, Le Corbeau et le Renard et La Cigale et la Fourmi en lui tenant la main ».

C’est beau. Vous voyez, y a pas de tromperie hyper glauque ou un triangle amoureux vampiro-louggarouesque. Y a juste deux êtres qui se lient quand ils ont besoin de se lier. Et des tonnes de questions qui en découlent. En tous cas, ça ressemble terriblement aux petites complications de l’amour qui, vous l’avez bien compris, n’est pas linéaire et uniforme. Ça ressemble un peu à ça la vie, non ? Oui. Et aussi, dans la vie, les doudous existent même quand on est grand, moyen grand ou très très grand. Le mien s’appelle Surimi, il fait 1m20 et c’est un Lémurien tout usé. Merci Soo-Jin, passe le bonjour à Jean-Pierre.

Ce roman, c’est un gros gros shoot de vie à l’état pur. Ce qui induit une bonne réflexion sur le pourquoi et le comment de l’existence mais aussi sur sa fin. Ça remue pas mal. Mais qu’est-ce que ça fait du bien d’être bousculé, de ne pas forcément contrôler ses émotions. Y a juste à lire ce roman immensément riche, en questionnement, en émotions, en tout. Un roman que je « grenouille » passionnément. Qu’est-ce que c’est que ce terme, encore ? Ah ah. Vous le saurez en lisant cette merveille…

Coups de cœur, Romans pour ados

Retour à Moosonee / Antje Babendererde / Bayard Jeunesse

Vous qui désormais me connaissez un peu mieux, vous savez que je suis sentimentalement au top niveau et que j’aime parler amour. Et bien aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, je vais parler crush (comme une ado et non pas comme la boomer que je suis, of course).

Sachez qu’il est tout à fait possible de parler de crush pour la littérature. De crush littéraire. Parce que ça arrive réellement. C’est comme un coup de foudre avec des mots, des personnages, une histoire. Mais comme tout véritable crush, cela reste assez rare.

Mon tout premier crush littéraire ? J’avais 8 ans et ce crush a viré en drama mezzo forte. « Toufdepoil » de Claude Gutman. Je dis pas, le titre, il est moyen, il prête à sourire mais EN AUCUN CAS on ne sourit en lisant ce roman que j’avais dû demander à ma mère à la fin de courses endiablées au supermarché alsacien du coin (au « Rond-Point » certainement, car en Alsace, il y avait de drôles de noms de supermarchés comme « Rond-Point » ou encore « Unico », bref). Pourquoi je l’ai demandé, ce livre ? Je vous le dis en mille : parce qu’il y avait un chien sur la couverture et qu’il ressemblait au chien que j’avais eu quelques années auparavant, un briard nommé Waldo. D’où mon crush pour Toufdepoil. Crush immédiat. Evident. Intense. Fortissimo.

Bon, en vrai, on est d’accord, j’aurais dû complètement me méfier de l’air paniqué du petit garçon. Mais j’avais 8 ans, hein, et le chien prenait tout la place sur l’image et dans mon cœur

Le speech, il est simple. Le petit garçon est fou amoureux de son chien qui lui apporte tout l’amour qu’il a perdu car sa mère est partie et que son papa l’élève seul. Ce dernier est en pleine dépression – en passant, c’était assez dingue d’aborder les thèmes de la famille monoparentale et de la dépression dans un roman jeunesse à l’époque – et le petit-garçon-dont-j-ai-oublié-le-nom va vivre un pur cauchemar, la faute à la belle-mère-atroce-tendance-mère-dans-vipère-au-poing qui débarque dans leur vie. Car oui, la belle-mère est horrible et le père va devoir faire un choix : le chien ou sa nouvelle femme. Vous devinez la suite ? Rajoutez à cela un terrible mensonge du genre « toufdepoil est allé rejoindre une jolie et gentille famille à la campagne » et vous aurez une idée de mon état de jeune lectrice à l’époque. J’ai rarement ressenti autant d’amour et de haine à la lecture d’un roman. Un crush qui fait mal. Qui finit mal. J’ai autant aimé ce livre qu’il m’a fait du mal. C’est-à-dire beaucoup, beaucoup, beaucoup. Un peu comme pas mal de mes histoires d’amour passées. Merde, en lisant ces mots, je me dis que j’aurais peut-être bien besoin d’une petite thérapie.

Mon premier crush pour ce chien, Toufdepoil, a été suivi de tant d’autres. Tobie Lolness, Hadrien, Sophie et SON choix, Miss Charity, Augustus Waters et Hazel Grace Lancaster, Colin et Chloé. Tous ces personnages que j’ai aimés à la folie et qui m’ont embarquée dans de sacrées montagnes russes d’émotions.

Je m’égare ? Oui, oui et encore oui. Comme d’habitude ! Quoique, pas tant que ça car il fallait bien une introduction pour vous expliquer que cette lecture, « Retour à Moosonee », c’est devenu un crush. J’ai pleinement jeté mon dévolu sur ce roman, sur ces personnages, ce lieu. Pourtant, je l’ai recommencé à trois reprises. Ce n’était pas gagné. Certainement que je ne devais pas abandonner la lecture, je DEVAIS lire ce récit. Crescendo.

Alors, ça parle de quoi ?

Tout part d’un lieu. Un « endroit ». « Il y a des endroits dans le monde qui ont le pouvoir de changer les gens. Je ne le savais pas encore, alors mais Moosonee était de ceux-là ». C’est dingue déjà, de lire ça. Je suis complètement d’accord avec cette idée. Je pensais être la seule à penser cela ! Tout comme une musique peut intégrer la BO de votre vie ou un livre peut coller idéalement à une situation qui vous définit, un lieu peut déterminer votre vie. Et puisque sur ce blog, je vous confie des tas de choses, je peux vous affirmer qu’à jamais, la Bretagne sera LE lieu de mon changement de vie lorsque j’ai effectué un virage à 180° à l’aube de mes trente ans. Je me souviens avec exactitude de chaque instant de ce voyage, des éclats de rire de mes amies, des confessions existentielles et nécessaires au bord d’une falaise ou autour d’un café, du sentiment d’être enfin moi sur une chanson de Beyoncé dans une boîte de nuit quasi vide de Crozon, de l’album de Nick Cave que j’écoutais sur la route du retour. Vers la réalité. J’ai eu un aperçu de ce que je pouvais être, en Bretagne et nulle part ailleurs. Ma vraie moi. Ça fait très télé-réalité dit comme ça, très « dans la vraie vie » comme s’il y avait une vie parallèle et une autre qui serait la bonne. Mais je n’ai pas mieux, là maintenant. La vraie moi.

Pour notre héros Jacob, le lieu décisif est le Canada, le Grand Nord, Moosonee. C’est ce lieu qui va lui permettre d’en savoir davantage sur ses origines. Jacob a tout un puzzle à assembler. Sa maman est allemande et est repartie vivre en Allemagne avec Jacob après avoir vécu quelques temps avec le père de Jacob – de la tribu des Cree – qu’elle a aimé éperdument depuis leur coup de foudre jusqu’à un terrible accident de voiture. Mon résumé est bancal, certainement mal formulé, mais je pense que vous avez saisi l’idée : Jacob ne sait pas qui est réellement son père. Par conséquent, il décide, à l’aube de l’âge adulte, de traverser la terre pour le rencontrer. N’en déplaise à sa mère ou à son beau-père (qui est sans doute la copie féminine de belle-maman dans Toufdepoil).

Dès lors qu’il débarque au Canada, diverses déconvenues lui arrive. C’est un euphémisme quand on sait qu’il va être attaqué par un ours. Sa vie dépendra alors de deux personnes, dont Kim, une jeune fille Cree quelque peu agressive rencontrée quelques heures auparavant dans un train. Ce sera la grande épreuve initiatique de la vie de Jacob et le fait que Kim en fasse partie n’est pas du tout anodin. Sans doute que cet évènement devait aussi se produire pour la jeune fille au passé bien douloureux.

Tout le roman possède comme une aura mystique. Totalement en raccord avec les croyances de ce peuple. C’est quelque peu magique dans le sens où il y a quelque chose qui vous dépasse. Tout ne s’explique pas rationnellement. Il peut y a voir des explications dans la nature, les signes, les songes.

La situation de Jacob n’est pas aisée. Lui qui a grandi en Allemagne et qui n’a connu la culture Cree que quatre ans durant. Dès lors, la recherche d’identité du jeune homme s’avère davantage ardue. « Jamais je ne m’étais senti aussi écartelé. D’un seul coup, mes racines cree prenaient le pas sur tout ce qui avait fait ma vie d’avant : mon choix d’être végétarien, ma haine de Stefan, mon combat contre la maltraitance des animaux, mon amour de la musique et du sport ».

Aucune rencontre n’est due au hasard, dans ce récit. Chacune d’entre elles est déterminante pour que Jacob puisse savoir qui il est réellement. Même quand il s’agit de rencontrer un ours.

C’est dingue comme le corps peut emmagasiner des tas de traumatismes et vous envoyer plein de signaux douloureux comme des alertes pour enfin résoudre la cause de ces traumatismes. Bon, on a aussi le droit de haïr tous ces professionnels qui ne prennent pas le temps d’écouter et relèguent les douleurs directement dans « la tête ». C’est dans votre tête, madame. Qui n’a pas déjà entendu dire ça ? Je crois qu’il n’y aura pas foule pour lever la main. Moi la première.

Dans le cas de Jacob, ses crises de convulsion sont impressionnantes. Sans doute parce que ce qu’il découvre petit à petit a toujours été tu par sa mère. Les secrets de famille et le silence qui en découle se sont solidement ancrés dans son cerveau, le rendant incapable de fonctionner correctement. S’ajoute à cela, une histoire plus grande encore qui prend ancrage des décennies plus tôt. Ce qu’on va découvrir est de grande ampleur. Je ne vais pas tarder à spoiler donc si besoin, activez le curseur et descendez encore et encore jusqu’à ce que je vous dise au revoir et merci pour votre patience infinie.

Vous le savez peut-être mais le Canada possède une Histoire qui, sous bien des aspects, est absolument condamnable. Et je l’ai découvert, il y a très peu d’années. Je vous jure, je n’avais jamais entendu parler des pensionnats pour autochtones destinés à évangéliser et assimiler les enfants autochtones au cours du 20ème siècle, au Canada. Je suis tombée sur un documentaire sur Arte qui en parlait, il y a quelques années, et j’ai vu. J’ai écouté aussi, les témoignages de ceux qui sont ressortis de ces pensionnats, des enfants de ceux qui sont ressortis de ces pensionnats. En plus d’être séparés de leurs parents, ces enfants ont vécu les pires violences et n’ont jamais réussi à se reconstruire si toutefois ils en sont sortis vivants. Les traumatismes ont eu un immense impact sur les générations suivantes. Misère, pauvreté, alcoolisme. Le grand-père de Jacob. Le père de Jabob. Jacob. « Tu as notre histoire dans le sang, mon garçon ; que tu le veuilles ou non » prononce Anak, l’un des personnages centraux du récit.

« Nous ne pouvions pas nous entraider, ce qui est totalement contraire aux valeurs des Cree. Ils voulaient nous briser, Jacob. Ils disaient que nous avions tout faux. Notre façon de prier, notre façon de vivre et de nous habiller, notre langue et notre culture : ils rejetaient tout en bloc. Leur but, c’était de nous « assimiler », ce qui revenait à nous anéantir ».

Ces mots sont durs à réceptionner mais assemblés bout à bout, ils composent le fil rouge de ce roman car ils expliquent tout. Y compris l’histoire de Kim. Cette jeune fille écorchée vive qui vit encore malgré elle et malgré tout. Kim fragile, avec cette mèche blanche dans les cheveux. Ce n’est pas un hasard. Kim solide, qui sauve les autres avant de sauver elle-même. Vous me direz qu’il n’existe pas vraiment de roman jeunesse, de roman tout court, de littérature en général sans histoire d’amour. Et vous avez complètement raison car l’amour est la clé. Et cette histoire d’amour… Elle n’est en rien facile mais qu’est-ce qu’elle est belle. On retient notre souffle avec nos amoureux qui ne savent pas aimer mais qui, ensemble, vont apprendre. C’est doux, brutal parfois, évident surtout.

C’est un roman sur la recherche de la vérité. Sur ce que des milliers d’autochtones ont vécu mais aussi sur l’histoire personnelle de Jacob. Ce fameux accident qui a fait basculer sa vie de petit garçon ne s’est sans doute pas déroulé de la manière dont il a toujours été narré.

Oui, c’est un récit sur la recherche de vérité. Sur une quête qui ne peut se faire sans douleur. Mais c’est sans doute cela qui fait toute la beauté de ce roman. Un peu comme un crush qui fait mal. Mais qui fait grandir. On en revient à Toufdepoil, je crois bien. On revient à ce qui est l’essence de la vie. Etre heureux, souffrir, souffrir pour être heureux. Tout ça. Ce gros bordel qui fait que l’existence n’est en rien linéaire. Est-ce que je suis la seule à être sur le qui-vive lorsque je suis heureuse ? J’ai pleinement donné en épreuves, souffrances et autres coups traitres, j’aimerais que ma quête soit achevée et que ma vie reste comme elle l’est à cet instant T. Simple, belle et terriblement joyeuse. J’ai encore et toujours des surprises qui s’invitent dans ma vie mais ce sont de très jolies surprises. Comme cette rencontre récente avec une amie qui fait désormais partie des personnes les plus importantes de ma vie. Alors, ma quête est-elle enfin achevée ?

J’aime ces romans qui font réfléchir, qui nous interpelle, nous interroge sur des pans existentiels de l’existence. Et j’aime le fait qu’il n’y ait pas forcément des réponses. Mais des signes. Enseignés par les Cree et percevables par tous si seulement nous voulons bien les percevoir.

J’aime les silences. Même les silences surnaturels. Et bien souvent, je cherche des signes qui seraient comme des ponts avec les personnes disparues et moi-même, un peu comme Jacob, ce loup et son grand-père. Ce récit m’a fait réaliser qu’ils se sont déjà pleinement manifestés. Car ma grand-mère est en moi, à jamais. A travers l’amour des livres et certaines habitudes que nous avons en commun, elle vit en moi à jamais.

Il est temps pour moi de vous dire au revoir et merci pour votre patience infinie. Et de vous conseiller de lire ce roman, de vous laisser bercer par les croyances et les valeurs Cree qui peut-être vous apporteront un éclairage nouveau sur votre vie. Ça vaut le coup d’essayer.

Merci à Croqu'Livre de m'avoir fait découvrir ce roman lors du dernier groupe lecture ado !
Romans pour ados

Amande / Won-Pyung Sohn / Pocket Jeunesse

Soudain, le vent a changé de trajectoire. Les cheveux de Dora ont flotté dans une autre direction. La brise a porté son odeur jusqu’à moi. Je n’avais jamais rien senti de pareil. Elle sentait les feuilles mortes, ou alors les premiers bourgeons du printemps. Le genre de parfum à évoquer des images contradictoires (…). J’ai poussé un cri de douleur. Ça piquait. Une grosse pierre venait de me tomber sur le cœur

L’amour, ça peut provoquer ce genre de chose. C’est vrai, ça peut être du genre grosse pierre qui vous tombe sur le cœur. Alors essayez juste d’imaginer le poids de cette grosse pierre qui tombe sur le cœur de Yunjae. Vous n’y parviendrez sans doute pas, tant le « cas » du héros de ce roman est incroyable, impensable. Yunjae a quinze ans et, depuis sa naissance, il ne ressent strictement rien. Ni la joie, ni la tristesse, ni la peur, ni tout autre sentiment. Sa mère et sa grand-mère, avec lesquelles il a grandi, ont tenté de lui apprendre des codes pour s’adapter à la société -sourire, imitation des autres, formules de politesse- mais malgré cela, il ne peut être comme tout le monde. Comment le pourrait-il ? Son amygdale cérébrale, son « amande » ne fonctionne pas bien. Il est physiquement incapable de ressentir. Même quand la tragédie bouleverse sa vie, il ne ressent rien. Rien du tout.

Alors, alors, c’est quoi cette citation d’introduction ? C’est qui cette Dora ? Ce cri de douleur, ce ne serait pas une émotion, par hasard ?

Et bien, c’est par un gros spoil que je débute cet avis de lecture. Mais on le devine en lisant le résumé de ce roman, Yunjae va faire quelques rencontres qui vont lui permettre de vivre, pas seulement de besoins vitaux comme boire, manger, avoir un abri sur sa tête. Non, de vivre pleinement avec tout ce que ça importe. Parce qu’on ne va pas se mentir, bien souvent on aimerait être insensible pour pouvoir rebondir sur les crasses que la vie nous envoie si mochement, parfois. Parole d’hypersensible. Qui pleure devant la pub Bouygues Télécoume version 2018 avec le fils qui danse avec son fils bébé en appelant son père qui lui aussi dansait avec son fils qui est maintenant père et en plus c’est Noël, oui oui. Qui rumine les conflits pendant 28h avant de formuler le problème, d’ailleurs j’en veux encore à mon amoureux de m’avoir laissée ranger le drive pour essayer de convaincre, sur le parking de notre village, un député d’un parti qu’on n’aime pas de devenir député d’un parti qu’on aime beaucoup plus et ça a duré 25 minutes et ça n’a rien donné, cette histoire est véridique, elle a eu lieu ce midi, je suis à H+3 de ma rumination. Qui a vécu tous ses chagrins d’amour et ses ruptures comme des pertes immenses, des fonds du gouffre, des six pieds sous terre, des poignards XXL dans le cœur. Cela pouvait aller d’un je-te-jette-le-pendentif-demi-coeur-que-tu-m-as-offert-à-la-tronche-et-je-m-en-vais-pleurer-dans-mon-lit-en-mangeant-un-pot-entier-de-hougen-doos-clichés-toujours, lorsque j’avais 14 ans, à je-ne-m-alimente-plus-et-je-ne-pèse-plus-que-44-kilos, je n’avais pas trente ans et je venais de divorcer. Depuis, j’ai appris à réguler mes émotions hein, mais je suis comme un volcan prêt à entrer en éruption. J’aurai pu m’appeler Juliane Pompéi. Bonjour, c’est moi !

Yunjae, lui, reste impassible même quand sa mère et sa grand-mère sont victimes d’une agression meurtrière. Là, je ne vous spoile rien parce que ce sont les premières phrases du tout premier chapitre (je ne vous parle pas du prologue qui est glaçant, impossible à oublier mais je ne voudrais pas vous traumatiser de suite) :

Voila la puissance du truc. Ce récit est fou. Il débute ainsi.

C’est clairement un roman pour grands ados et pour adultes parce que la violence, elle est bien là. L’assaut meurtrier est décrit tel que le vit Yunjae alias celui-qui-ne-ressent-rien, c’est hyper froid, neutre, les mots sont difficiles à recevoir pour nous, lecteurs. Lorsque le héros rencontre Gon, un garçon de son âge, rebelle, colérique et carrément violent, c’est le même procédé d’écriture qui s’applique. Il y a des descriptions nettes, cinglantes, qui disent tout de la violence sans qu’il n’y ait de nuance. J’avais un peu l’impression de revenir 20 ans en arrière et de lire la quasi intégralité des Rougon-Macquart dans le cadre d’un cours de littérature, à la fac de Mulhouse. Je vous le dis texto, j’ai adoré mais ce ne sont clairement pas des lectures funky que tu laisses avec plaisir le soir sur ta table de nuit pour les retrouver le lendemain. Non, ce sont des romans que tu planques bien, bien au fond de ton placard pour qu’ils ne viennent pas te hanter, ne sait-on jamais. Des lectures froides qui t’offrent des autopsies livresques. Sympa le concept, non ?

Il faut donc s’accrocher parce que certains passages de ce roman sont difficiles et crus. Cependant, ils s’expliquent. Ce n’est pas juste de la violence pour de la violence. Les épreuves vécues ont une véritable influence sur le cours de la vie des personnages. Et certains en reviennent, de cette violence. Notamment le fameux Gon (qui est loin d’avoir eu une enfance magique, son histoire est traumatisante d’ailleurs je ne lâcherai plus jamais la main de mon petit Oscar jusqu’à ce qu’il ait 18 ans) qui finira par se détacher de cette violence même s’il ne peut s’empêcher de la provoquer. Parce qu’au fond, Gon est comme tout être humain, il cherche ou recherche l’amour. Et ça peut être l’amour d’une mère dont il a été séparé. Et que Yunjae a connu quelques temps. Bon, je ne vais vous raconter le pourquoi du comment ici car l’histoire est pas mal improbable et qu’elle fait penser à un scenario d’un téléfilm de M6 de début d’après-midi et je n’aimerais vraiment pas que vous associez cette image glamouro-policiero-nimportnawak à ce roman. Retenez juste que Yunjae a rencontré la mère de Gon et que ce dernier ne l’a pas revue depuis ses cinq ans.

C’est fou parce que Yunjae décrit tout en tant que personne qui ne ressent rien mais nous, lecteurs, on ressent tout x2323232353565. C’est tout le talent de l’autrice et de la traductrice, Sandy Joosun Lee, qui a traduit « Amande » du coréen à l’anglais. J’ai beaucoup aimé le fait qu’elle s’exprime à la suite du roman. Cela fait réaliser que ce métier de l’ombre est un métier carrément difficile, encore plus quand les récits ont une particularité similaire à ce roman. Sandy Joosun Lee l’explique bien :

« Il me fallait choisir minutieusement les mots, afin de m’assurer que Yunjae et Gon existeraient pleinement, chacun à sa manière, en m’appuyant sur le contexte et la distance émotionnelle que l’on trouve dans le texte original (…). Ce qu’il fallait pour Yunjae, c’est un ton détaché, sans pour autant être fade (…). De plus, alors que la sensibilité de Yunjae se développe tout au long du récit, je voulais montrer son évolution à travers le langage, montrer comment la distance émotionnelle se réduit ».

Et elle conclut son texte par ceci :

« Pour Yunjae, l’amour n’est pas confiné dans une case car il n’y a aucune case par laquelle commencer. J’espère que les lecteurs du texte ressentiront le même flux d’émotions provenant de l’amande de Yunjae que moi ».

Oui oui et oui. Pari risqué mais pari gagné. J’ai rarement lu un livre aussi déstabilisant, qui malmène aussi, sans que l’on sache si c’est plutôt positif ou carrément malaisant. Je peux simplement dire que ça fait du bien d’être remuée, la littérature a ce pouvoir-là. Dans « Amande », la violence est omni-présente mais au même titre que l’amour. C’est sans doute ce duo antinomique mais intrinsèquement lié qui explicite ce sentiment étrange. Je peux pas vous exposer ici les passages violents qui, en dehors de leur contexte, n’auraient d’ailleurs pas de sens, mais je peux vous faire lire quelques mots qui narrent une scène tellement belle et qui me touche à un point… J’ai moi-même grandi dans une famille dans laquelle les membres qui m’ont apporté de l’amour et de la confiance ont été des femmes. Ma sœur, ma mère, ma grand-mère. Alors que l’amour ait, dans ce roman, l’image d’une si belle filiation, cela m’émeut grandement.

C’est trop joli, en plus, la représentation de l’amour en hanja

L’amour illumine ce roman. Et il est de toutes formes. Parfois il peut mener à la souffrance, à la violence, mais souvent, il est ce pour quoi les gens changent. Il est ce pour quoi les gens vivent heureux. Et il est ce qui subsiste même après la disparition de ces êtres aimés. Qu’est-ce que c’est beau lorsque Yunjae se souvient de sa maman et de sa grand-mère. Il n’est pas encore capable de ressentir des émotions mais possède déjà en lui l’essentiel : les souvenirs, magnifiés par les sens qui redonnent vie aux être perdus. Comme le souvenir d’une voix chantée semblable au bruit des vagues ou au vent qui souffle au loin. Ou la chaleur de mains aimantes :

« Je me souviens de ces journées où je me promenais avec Maman, et où elle me serrait la main. Elle ne me lâchait jamais. Quelquefois, elle m’agrippait si fermement que j’en avais mal. J’essayais de me libérer, mais d’un seul regard, elle m’en dissuadait. Mamie me tenait l’autre main. Je n’ai jamais été abandonné par qui que ce soit. Mon cerveau a beau être dans un mauvais état, mon âme, elle, est intacte, grâce à la chaleur de ces mains qui me tenaient de chaque côté ».

Bon voilà, ce livre ne ressemble à aucun autre et c’est une grande qualité. Il n’est peut-être pas littérairement parlant le plus abouti mais il a le don de nous faire réagir, réfléchir, ressentir, ce qui est l’essence-même de la lecture. Et joliment raccord avec le speech du récit. Si vous n’êtes pas encore tout à fait convaincu, c’est qu’il vous faut savoir que ce roman coréen est le « coup de coeur du groupe de K-pop BTS ». Ça, ça me fait joliment sourire. C’est mignon. Il faudra désormais ajouter à cette accroche marketing : « ce roman coréen est le coup de coeur de Juliane_lit ». Yep !

Coups de cœur, Romans pour préados

Mémoires de la forêt. Les souvenirs de Ferdinaud Taupe / Mickaël Brun-Arnaud / L’École des Loisirs

Un roman pour les 9 ans et + qui évoque la maladie d’Alzheimer ? Vraiment ? Oui, bien sûr que oui. On le sait, on le revendique, la littérature jeunesse peut tout aborder, tout mettre à portée et peut même le faire avec intelligence et poésie, comme dans ce livre SU-BLIME. La maladie de l’Oublie-Tout y est bien présente mais le récit n’est en rien tourné vers le pathos. Vous savez, ce pathos qui est emblématique des émissions télévisées, quand les candidats de telle ou telle émission entrent en scène sur une musique larmoyante tandis que défilent derrière eux les pans sombres de leur existence. Quand tout est fait pour provoquer la pitié et l’audience. Rien de cela ici. Vous allez pleurer -âmes sensibles surtout ne vous abstenez pas- mais parce que c’est beau. C’est un peu cliché et presque niais de dire ça mais c’est le mot qui me vient automatiquement. Ce livre est beau. Tout est beau. Les mots parfaitement choisis, l’importance de la transmission qui transcende le récit de part en part, les souvenirs de Ferdinand qui vous ramènent à vos propres madeleines de Proust, les illustrations de Sanoe qui font honneur à la poésie du texte. Tout. Tout est beau.

Le récit débute dans une librairie. Tellement normal, parole d’ancienne libraire jeunesse ! Tout commence dans cette librairie nichée dans le tronc d’un arbre, avec des livres poussiéreux, des rayonnages remplis, une petite entrée pour les animaux de petite taille, une autre entrée pour tous les autres. Pousser les portes de la librairie de Bellécorce dès la première page, c’est pénétrer directement dans un univers merveilleux qui n’est pas sans rappeler celui de Béatrix Potter ou des contes de notre enfance. Et ça colle parfaitement avec le métier de libraire et la délicieuse mise en abîme que nous propose l’auteur, lui-même libraire. Rêver et faire rêver les gens de passage ou les habitués. Ce partage, c’est l’essence-même du métier, même si l’on ne peut nier les aspects moins folichons. Il faut avoir la passion. Condition indéniable. Parfois, cela ne peut fonctionner. Lorsqu’Archibald le libraire retrouve son petit commerce après son périple, il découvre une lettre laissée à son attention par sa remplaçante, Charlotte la Souris. Cette dernière lui précise :

« Merci de m’avoir laissée prendre votre place ces deux dernières semaines. C’était une expérience très enrichissante. C’est confirmé, je dé-tes-te ce métier et je ne comprendrai ja-mais comment vous pouvez l’exercer : les clients sont in-sup-por-tables ! »

J’avoue, j’ai souris. J’en ai vu, des clients, les six années passées à exercer le métier de libraire, et il est vrai que certains étaient désagréables : j’en aurai presque détesté Noël, la course aux cadeaux, aux cadeaux les plus onéreux, les plus clinquants, qu’importe le contenu. J’aurais mille anecdotes pas toujours jolies à vous livrer ici mais ce ne sont pas ces histoires futiles que je retiens. Je retiens tout le reste. La passion. Les rencontres. Ce métier qui m’a permis de m’affirmer, moi l’introvertie sur laquelle aucun de mes formateurs n’avaient parié. Six belles longues années. Puis, il y a eu la fermeture de la librairie dans laquelle j’étais employée. Et j’ai rebondi vers un ailleurs, un autrement. Toujours dans le domaine des livres, cependant. Car je connais trop le pouvoir des livres, du rêve, de la transmission. Je n’ai pas perdu ça, j’imagine. Mais il est vrai que ce récit me réanime presque. Est-ce que désormais je m’imagine vivre dans une petite libraire au milieu de nulle part, avec des livres jusqu’au plafond et une échelle avec laquelle je naviguerais entre chaque bibliothèque. Oh que oui. J’y reviendrais peut-être un jour, à ma librairie d’amour. Elle n’existe peut-être pas encore ou alors elle m’attend quelque part. Qui sait ?

Première page, première rencontre avec un lieu, un personnage, une aventure qui ne fait que débuter. Et c’est là une belle entrée en matière. Ce roman, c’est aussi une chouette façon d’initier les jeunes lecteurs au merveilleux et à la fantasy. On y retrouve tous les ressorts, y compris la carte pour se repérer dans ces lieux enchanteurs.

Une partie des lieux visités par nos deux compères

L’aventure débute dans une charmante librairie mais elle continue partout ailleurs. Et dès lors qu’Archibald décide de partir à l’aventure -car ce n’est pas si facile de se lancer, hein ?- le récit n’est que rencontres déterminantes et moments suspendus. Rien ne prédestinait les deux personnages à partir ensemble, ils n’ont rien en commun mais ils ont le même objectif : retrouver le propriétaire des mémoires écrits par Ferdinand. Ensemble, ils vont parcourir un petit bout de monde mais surtout une grande partie de la vie de notre Taupe, atteinte de la maladie de l’Oublie-Tout. Rien n’est d’ailleurs épargné ici. Parce que cette maladie n’a rien de romanesque, elle n’est pas enjolivée avec de jolis mots et de jolies intentions. Elle est bien présente, avec ses caractéristiques, pas toujours faciles à appréhender. Ce n’est pas simplement une question d’oublier « de faire griller ses tartines avant de les recouvrir de beurre ». C’est « la maladie de l’Oublie-tout, celle qui vient et qui prend tout, des souvenirs les plus fous aux baiser les plus doux ».

Cette maladie, elle peut également faire ressortir de l’agressivité, de la peur, de l’incohérence, ce qui pourrait tout à fait freiner l’aventure dans laquelle ils se sont engagés. Archibald doute beaucoup. Mais il persiste. C’est un ami plus que précieux. Un ami rare, qui démontre que l’amitié n’a pas besoin de contrepartie, elle est simplement portée par l’empathie et la générosité. Et le renard fait bien de persister car les souvenirs, notamment ceux qui le lient à Maude, sont réactivés par des lieux, des rencontres. Par le bonheur.

Qui se rencontre dès le premier arrêt, au salon de thé de madame Pétunia.

« Les lieux avaient changé -les plantes avaient poussé et il y avait beaucoup plus d’ouvrages sur les étagères- mais c’était sans aucun doute l’endroit où se tenaient les jeunes Maude et Ferdinand, le visage heureux. Le bonheur, c’était vraiment le sentiment que dégageait cet endroit hors du temps, où loirs, belettes, loups et mulots partageaient leur amour de la gourmandise et de la littérature. Ferdinand, absent mais émerveillé, regardait les lieux comme si c’était la première fois qu’il y mettait les pattes ».

Sachez-le, si vous lisez ce roman, vous serez ému par chaque endroit que vous visiterez. Il y a des madeleines de Proust pour Ferdinand mais pour chacun de vous, également. Quand la petite Taupe goûte une part de « tarte aux amaudes », il en est bouleversé.

Le goût du souvenir. Vous l’avez tous, ce goût si spécifique. Si si, cherchez bien ! Vous l’avez, ça y est ? Bien sûr que ce qui me revient en premier lieu, ce sont ces plats et ces desserts que ma grand-mère cuisinaient si bien. Le roulé au chocolat, les coquilles Saint-Jacques de Noël et le chou rouge à la polonaise. Je ne vous dis pas toutes ces émotions que j’ai ressenties quand, lors du fameux confinement de 2020, je suis retombée sur LA recette du chou rouge, rédigée par ma grand-mère.

Et quand je l’ai réalisée, cette recette, et que je l’ai goûté, ce chou rouge… Ma grand-mère était là, avec moi.

Cela fonctionne aussi avec les autres sens. Quand Ferdinand se rend au concert de Gédéon Hibou Duchêne et qu’il entend une musique composée et offerte par sa chère Maude, les paroles lui reviennent, autant que les souvenirs.

« Mot après mot, note après note, la taupe semblait revenir à un temps plus beau ; et si sa mémoire s’éclipsait vers l’oubli, ses petits doigts griffus, eux, se rappelaient la chaleur de la patte de celle qu’il avait tant aimée. C’était comme si Maude était là, et peut-être l’était-elle ». Oui, elle était là.

C’est peut-être pour cela aussi que j’aime tant la musique. C’est un art qui sait vous bousculer, vous ramener à la vie, parfois. J’ai en tête cette vidéo devenue virale dans laquelle on voit une malade d’Alzheimer qui, en entendant la musique du Lac des Cygnes, exécute avec ses bras la chorégraphie exacte comme elle le faisait lorsqu’elle était danseuse étoile. Le pouvoir de la musique. Qui vous ramène aussi parfois à des moments vécus que vous aviez cru enfouis. Un peu comme lorsque, il y a peu, j’ai entendu une chanson de UB40 à la radio et que ça m’a rappelé un de mes premiers amoureux. On écoutait « red red wine » assis au bord du skatepark et j’étais si amoureuse que j’avais économisé taquet d’argent pour m’acheter une paire de rollers pour faire des slides que, ceci dit en passant, je n’ai jamais exécutés. Je n’avais pas percuté à l’époque que la chanson parlait de vin rouge et de souvenirs. On ne peut pas dire que c’était tout à fait adéquat. Si j’avais su que ça n’aurait du sens que 20 ans après…

Le temps qui passe. Cette problématique est au cœur de ce roman. Elle est délicieusement abordée, avec une touche d’évidence mais surtout énormément de tendresse. Elle n’est rien non plus sans la transmission. La transmission de lieux, de savoirs faire, de génération en génération. Elle passe également par l’écriture. De mémoires, de lettres. Qui perdureront. Après avoir fait tout cela, après avoir transmis, il sera temps de se reposer, de reposer son esprit à la pension des plumes, qui n’a rien des EPHAD dont on entend si tristement parler actuellement. A la retraite des plumes, il y a avant tout de la vie, de la joie, « des lanternes suspendues dans les arbres, sur la grande table près du potager, où à l’intérieur, près de la cheminée en briques quand il fait trop froid pour mettree une poule dehors ». Il y a aussi « des pains surprises aux six confitures » et des veillées littéraires le vendredi soir. Ce roman a quelque peu calmé certaines de mes angoisses. Le et après qui parfois me paralyse. Alors oui, on ne sait pas de quoi ce après sera fait. Mais il pourrait très bien ressembler à une belle aventure telle que l’ont vécue Archibald et Ferdinand. Cela ne dépend que de nous, finalement.

Je ne révèlerai rien ici de ce qui a attrait à Maude mais je vous le dis, vous ne vous en remettrez pas. On devine aisément une destinée tragique. C’est bien plus que cela. C’et tragique et magnifique à la fois. C’est ce qui fait la puissance de récit.

Nous étions prévenus avant même de débuter le roman, que nous ne ressortirions pas indemnes de notre lecture :

« Dans ces Mémoires de la forêt, vous trouverez consignées les destinées grandioses de minuscules animaux qui ont foulé ces bois, animés par l’esprit d’aventure, le sentiment amoureux et la puissance de l’amitié (…). Puissiez-vous ne jamais oublier les animaux que vous allez maintenant rencontrer et l’aventure que vous vous apprêtez à vivre.. ».

Je n’oublierai pas. J’en suis sûre et certaine. Je n’oublierai aucune mot, aucune illustration. Surtout pas celle-ci. Celle que je préfère et qui résume tout.

Romans pour préados

Miss Crampon / Claire Castillon / Flammarion

Ou comment écrire une chronique désordonnée en parlant d’emblée de la fin du récit. Je m’excuse pour le spoil mais je ne suis pas toujours au clair dans ma tête. Il semblerait que ce soit ma marque de fabrique, par conséquent je m’excuse d’être si imparfaitement moi-même et d’introduire si imparfaitement ma chronique chaotique.

Miss Crampon. N’est pas Miss Crampon qui veut. Mais tout le monde peut être Miss Crampon. Même les jeunes filles qui ont des appareils auditifs, se sentent insignifiantes et donc, manquent de confiance en elles. Même Suzine, l’héroïne de cette histoire.

Bon ok, Miss Crampon ce n’est pas la consécration ni même un but en soi mais il n’empêche, remporter cette élection organisée par le club de foot local est un moyen de prouver, devant témoins et devant témoins qui ont bien, bien égratigné la confiance de Suzine, que c’est possible. De gagner et, en plus, d’en être fière. Ce n’était pas évident pour la jeune fille, vous l’avez compris, mais Suzine l’a fait. Il suffit parfois d’un déclic intelligemment provoqué par quelqu’un. Ici, c’est le beau-papa qui s’en charge merveilleusement. C’est génial ça, non ? Forcément, ça me touche personnellement, moi qui possède une famille gaiement recomposée. On oublie trop souvent les rôles que peuvent délicatement et joliment jouer les belles-mamans et les beaux-papas dans la vie d’un enfant. Bien souvent, par exemple, qui dit belle-maman dit belle-doche, dit marâtre, dit un truc très moche qui serait un mix entre Lady Tremaine de Cendrillon et Folcoche de Vipère au Poing (même si dans le roman autobiographique d’Hervé Bazin il s’agit de la figure maternelle et je ne voudrais pas vous embrouiller mais vraiment, je ne peux imaginer pire figure maternelle que celle de Folcoche, j’en ai encore des frissons d’angoisse tant j’ai été traumatisée par ce personnage, c’est d’ailleurs pour ça que je cache ce livre dans ma bibliothèque comme si c’était le livre monstrueux des monstres dans Harry Potter et qu’en ce sens, Folcoche était prête à tout instant à me fusiller du regard et à m’invectiver, ceci à tel point que je me sentirais obligée de prononcer cette phrase dite par le narrateur et l’écrivain lui-même « nous allons mieux depuis qu’elle étouffe »). Pardonnez-moi pour la longueur et la lourdeur de ma phrase entre parenthèses mais elle est à l’image de mon traumatisme qu’à priori, je n’ai toujours pas réglé. De toute évidence, il a fallu que je le décrive ici pour l’accepter.

Bref, les beaux-parents ne jouent pas souvent un rôle positif dans les récits, si tant est qu’ils y existent. Pourtant, ils peuvent faire des miracles. Comme Viviant, le beau-père de Suzine, qui l’encourage avant son passage sur scène, cheveux attachés et appareils auditifs visibles :

Là, excusez-moi mais il faut que je pleure toutes les larmes de mon cœur/de mon corps, un peu comme lorsque j’ai entendu la chanson « beau-papa » de Vianney tout à fait par hasard à la radio, pendant que je conduisais. Est-ce que j’ai dû m’arrêter sur le bord d’une départementale de Haute-Saône ? Tout à fait ! Est-ce que j’ai dû avouer que Vianney m’avait émue, moi qui écoute tout sauf Vianney ? Oh yeah.
Si c’est flou, c’est pour vous représenter les mots que j’aperçois avec mes yeux embués.
Coucou la mauvaise foi 🙂

« Je suis la plus belle fille du monde ». Elle va le dire, Suzine. Elle va même le crier. A tel point que sa maman accourt en pensant qu’elle est à nouveau sourde.

Parce que oui, Suzine souffre d’un handicap qui touche son ouïe, un « petit problème » dont on ne comprend véritablement la teneur et l’enjeu qu’à la toute fin du récit. Un « petit problème » survenu à la suite d’un « accident » survenu dans l’enfance. Un « petit problème » qui a forcément un impact sur sa vie sociale qui, disons-le franchement, n’est déjà pas nourrie de relations saines et authentiques. Ses deux « meilleures amies » (il y a beaucoup de guillemets dans ce paragraphe, ceux-ci vous invitent à faire travailler votre sens de la déduction, pardon, mais au moins, vous n’avez pas à me subir moi, mimant les guillemets avec mes doigts, chose qui est insupportable, on est d’accord ?) sont odieuses, intéressées, toxiques et pourraient facilement obtenir la médaille d’or des harceleuses. A force d’entendre des crasses non-stop comme « sale menteuse », « tu me le paieras », « tu as toujours été jalouse de moi », « lundi ça va être ta teuf » et, le pire du pire, « je vais te pourrir », Suzine se renferme sur elle-même, ajoutant à sa surdité, un mutisme qu’elle actionne en mode automatique lorsque cela devient trop violent. Elle « se chut ». Y compris lorsqu’elle ne peut gérer un trop plein d’émotions et d’informations au sein de sa famille certes aimante, mais bien bordélique. Quant aux garçons, c’est encore autre chose. A-t-on besoin, à tous prix, de tomber amoureuse ? Quelqu’un peut-il le décider pour vous ? Non, non et non. Tout est trop. Et trop, c’est trop. Suzine « se chut » souvent et se coupe du monde, les cheveux planqués sur les oreilles.

J’aime beaucoup ce roman qui aborde des questions essentielles. Et derrière le récit parfois poussé à son paroxysme en matière de quiproquos et situations insolites – personnellement j’adore le séjour au ski WTF qui dure une bonne partie du récit mais je pense que certains le trouveront long et exagéré- il remue pas mal tout autant qu’il questionne. On réalise que Suzine est obligée d’adopter des comportements qui sont contraires à ce qu’elle est réellement, tout cela pour plaire aux autres. D’où les mensonges en floppée et les retours de bâton reçus comme des coups de poignard en plein cœur. Personne ne mérite cela. Personne ne devrait avoir à changer ou à se planquer. C’est facile à dire, hein ? Oh que oui et cela arrive plus fréquemment qu’on ne le pense. En amitié, en amour, tout le temps. On fait comme Suzine qui déclare : « j’ai appris à devenir l’incarnation exacte de ce que les gens attendent de moi ».

Ça, c’est la facilité, et c’est tellement rassurant d’y céder. Mais quand enfin, on est aimé pour ce que l’on est réellement, alors on peut commencer à vivre, vraiment. Retenez cette phrase comme une citation mi-niaise mi-véridique à ressortir en story instagram avec un cœur en gif (Mea culpa, c’est ce que je fais déjà). Je ne peux pas m’en empêcher. C’est tellement gratifiant d’être aimée et appréciée alors même qu’on est introvertie-bizarroïde-à-tendance-folfdingos-qui-cache-bien-son-jeu. Il fallait être patient, faire les bonnes rencontres. Il n’est jamais trop tard, même à 25 ans (+12).

Chaque lecteur trouvera un intérêt à lire ce récit qui, en plus de faire travailler les méninges (bon ça, c’est faux en vrai, on ne fait pas travailler les méninges parce que les méninges n’ont aucun rôle dans les fonctions mentales, j’ai bossé le sujet quand j’ai voulu me reconvertir en l’orthophoniste que finalement je ne serai jamais), fait joliment rire. Mention spéciale au séjour au ski et à Camille, la belle-mère qui joue sa vie aux soirées karaoké malgré la fièvre, qui foule la neige en talons hauts et mini-jupe, qui organise des virées parfaitement organisées et responsables en apparence, qui souffre du cliché de la belle-mère extrêmement jeune, superficielle mais qui est si drôle, si authentique qu’elle s’en contrefiche du qu’en dira-t-on. En plus, elle écoute, véritablement. Camille est l’objet de toutes les attentions mais l’attention, elle en offre beaucoup en retour. Prix d’honneur également à l’humour de Suzine. L’auto-dérision est bien une arme et notre héroïne s’en sert avec brio. C’est si délicieux de lire Suzine, elle qui nous narre aussi bien ses aventures, aussi difficiles soient-elles. C’est justement cette ambiguïté qui fait l’originalité de ce roman.

J’aime beaucoup ce genre de détails parfaitement décrits. C’est comme la situation amoureuse rocambolesque vécue lors du séjour au ski, basée sur un épisode qui ressemble à : machine est amoureuse de machin qui a été amoureux de machine mais qui l’a laissée tomber au détriment de machine 2 qui est en fait amie avec machine 1. Cela pourrait être catastrophiquement niais mais Claire Castillon a su transformer une situation réaliste -les adolescents peuvent vivre les questions amoureuses de cette manière, je rappelle que je vis avec une adolescente et que je suis entourée d’adolescents une bonne partie de mes journées, une bonne partie de l’année, merci d’avance pour votre sincère compassion- en situation sarcastiquement réussie. Gniark gniark, on adore.

Mais tout évolue dans ce récit, y compris le ton employé par le personnage principal. Il y a le recul, cette fameuse ironie et finalement, le roman se clôt avec une note de tendresse et avec l’acceptation tant attendue. Le temps. Il faut parfois beaucoup de temps pour s’accepter, accepter de ne plus dépendre de personnes toxiques et pour grandir, tout simplement.

« Je me retiens parfois de jouer à la poupée ou de faire parler mes Barbie, planquées dans leur camping-car, en haut de mon placard, en réserve pour si un jour j’avais des enfants… J’essaie de grandir au plus vite, mais au fond, je suis dépassée par la vitesse. Quand je me chut, c’est pour me retrouver, moi et le souvenir de ma collection d’animaux en porcelaine que j’ai planquée dans une boîte à chaussures pour ne garder qu’une décoration épurée semblable à celle que préconisent mes copines pour leur chambre ».

Chers adolescents, prenez le temps. Prenez le temps ! De grandir. D’être vous-mêmes. D’être fiers d’être vous-même. Le chemin est parfois long et fastidieux mais au bout, il y a des rencontres formidables, des yeux « dans lesquels l’amour rebondit, d’autres (…) où il s’installe », des moments décisifs -peut-être un défilé en crampons ?- des soupirs de soulagement, des épaules redressées et un magnifique sourire collé aux lèvres.