C’est marrant parce que la première chose à laquelle je pense en lisant ce titre, c’est à ce que dirait ma maman adorée si elle le voyait. « Les filles NE montent pas si haut d’habitude ! Encore une fois, ils ont oublié la négation ». Je l’imagine scander ça à la pièce silencieuse et je m’imagine moi sourire légèrement parce que j’aime bien quand elle râle, ma maman. Elle est très, très à cheval avec la langue française. Et avec les bruits que l’on peut faire en mangeant, également. Il faut faire attention à ne pas mâcher la bouche ouverte et une fois qu’on a avalé notre cuillerée de spaghettis bolo (ou plutôt de blanquette de veau) bien comme il faut, on peut s’exprimer, mais il faut parler correctement. Je souris mais ce n’est en rien méchant ni même ironique parce que je fais un peu ça aussi, avec mes enfants. Je fais comme ma maman. Elle me manque, là, maintenant.
Pourquoi ce titre ? Pour tout vous dire, je ne suis pas hyper convaincue par celui-ci. Il ne reflète pas exactement le contenu du livre. Même s’il n’est pas hors-sujet, vous le comprendrez rapidement. Même s’il est chouette, hormis bien évidemment, l’absence de négation, hein maman ? Ce titre, c’est vrai, il nous annonce la couleur. Dans ce roman, il est question d’une fille particulière et d’une fille en particulier. Elle ne correspond pas à l’image que l’on se fait faussement des filles. Elle est le genre de fille que tu ne rencontres pas tous les jours. Le genre de fille qui a confiance, qui marche droit devant elle (je ne sais pas pourquoi j’ai la voix de Dori quand elle chante « nage d’roit d’vant toi nage d’roit d’vant toi » à Némo, excusez moi, il fallait que ça sorte) et qui sait exactement ce qu’elle veut. Elle est celle qu’on aimerait toutes êtres, celle qu’on devrait toutes être. Celle de la couverture. Jugez par vous même.

Même son apparition dans le récit est incroyable. Quand Timoti la voit pour la première fois, il est à la fenêtre de son immeuble. Il n’est pas bien sûr de ce qu’il aperçoit car, est-ce possible ? J’aime tellement sa réaction face à cette jeune fille libre, qui se contrefiche du regard des autres, qui n’hésite pas à s’exprimer haut et très fort et qui ne porte même pas de chaussures. Ben ouais.
La fille à la queue-de-cheval virevolte autour de la tondeuse à gazon. Elle agite un bras en l’air et pousse des cris guerriers (…) Elle a peut-être la rage ?
J’adore. C’est si joliment drôle. L’une des plus belles premières apparitions de personnage que j’aie pu lire jusqu’alors. La rencontre entre nos deux héros n’est pas banale non plus. Elle leur ressemble. Haut d’un arbre VS fenêtre d’un immeuble. Vous devinez qui est où. On comprend mieux le titre, au passage.
Et alors, elle s’appelle comment cette jeune fille ? Petite devinette extraite du roman. Si vous êtes plutôt calés en mythologie (romaine, ici), ça devrait le faire :

Timoti, il est l’exact opposé de cette jeune fille au nom de déesse. Il porte d’ailleurs un nom de shampoing. C’est dire. Ce qui est certain, c’est qu’il n’est pas du genre meneur. Et encore moins du genre cool :

Timoti est plutôt du genre à tout programmer pour éviter que, à se sécuriser parce qu’on ne sait jamais, à poser mille questions pour comprendre à tout prix. Son père, avec lequel il vit exclusivement, ne veut jamais répondre à celles qui importent vraiment. Il tourne tout à la dérision ou bien il occulte. C’est moche et ce n’est en aucun cas ce dont a besoin Timoti. On parle de besoin vital, en vérité.
Le jeune garçon a un quotidien bien réglé. Il ne va pas à l’école, la faute à une phobie scolaire mais il apprend tout et retient tout. Grâce aux livres, à l’observation, à l’expérimentation. Cela lui convient très bien. Il n’a pas de vie sociale comme les gamins de son âge mais il s’évade dans les poésies qu’il écrit. Je ne juge pas. Je comprends. J’étais un peu comme ça, moi aussi. Je m’asseyais sur le rebord de ma fenêtre, au premier étage de ma maison d’enfance située dans un petit village alsacien et j’écrivais toutes mes pensées dans un carnet ou alors je rédigeais des lettres d’amour que j’envoyais – avec un timbre et tout ça – ou pas. J’avais une vision très romanesque de moi-même et de moi-même qui écrit. Cependant, je savais exactement quel pouvoir et quelle force l’écriture pouvait avoir sur ma vie. Comme Timoti. Comme pas mal de gamins un peu mal dans leur peau, un peu rêveurs et pénalisés parce qu’ils le sont. Beaucoup se reconnaîtront dans ce personnage.
Alice Butaud trompe très joliment et très malicieusement ses lecteurs. Car ces personnages ne sont pas si antinomiques. Ils ont peut-être des traits de caractères opposés mais il y a des ressemblances qui les relient. Leur rapport à l’école, par exemple. Timoti souffre de phobie scolaire et Elle, elle ne trouve pas sa place au sein de cette Institution qui ne lui correspond clairement pas :
L’école me hait ! Je suis hyperactive, hypersensible, hyper-tout. Je ne colle pas avec l’école.
Voilà, voilà.
Ils sont aussi liés parce que l’un a des questions et l’autre a des réponses. Parce que… Ah ça, c’est l’énorme révélation du roman. Une grosse ficelle dans un récit délicat. Un imbroglio de folie (poke petit pléonasme ou quoi que ce soit d’autre). Ce n’est pas si important. L’important, c’est la quête. Qui passe par une grande aventure, un truc un peu dinguo qui permet, une fois les angoisses et les côtés pratiques réglés, de se sentir libre et peut-être heureux, qui sait ? Cette aventure initiatique, Timoti ne l’aurait pas tentée sans Elle mais il le fait.

La vérité, Timoti l’obtiendra et la parole sera libérée. Quel soulagement attendu. Cette issue bienvenue explose d’optimisme et de rires. Parce que oui, l’histoire se termine par un fou-rire. Elle ne pouvait pas se clore autrement.
Je l’aime beaucoup, ce roman. Il est curieux, fantasque, peut-être bien trop peu probable, mais qu’importe. Il est empli de poésie, aussi. De débats sur les grenouilles et les contes de fées, sur le changement, sur la mesure des risques que l’on prend, sur les princesses mollassonnes (team Timoti, hé oui) sauvées par des princes (team Elle, ben carrément). J’aime autant les détails drôles et véridiques (qui n’a jamais fait un voeu à 11h11 par exemple ?) que la grande réflexion en fil rouge sur l’Identité (qui suis-je ? Telle est LA question). Et tout est abordé avec beaucoup, beaucoup de sensibilité.
C’est un très beau roman sur l’enfance. Qui nous montre que toute enfance peut très bien aboutir au monde des adultes sans faux-semblant, sans mensonge mais avec, logiquement, de la sincérité, un peu de rêve et de folie et surtout, oui surtout, avec une évidente et absolue Liberté.