Bandes dessinées / Mangas, Coups de cœur

Le veilleur des Brumes / Robert Kondo & Dice Tsutsumi / Bande d’Ados

« Je crois que je connais un peu mieux… ce garçon que j’ai été… et celui que je suis devenu… »

Cela fait un petit moment que j’ai terminé l’intégrale de cette bande dessinée mais l’émotion est toujours intacte, merveilleuse quoiqu’un peu pudique, lorsque je la reprends dans mes mains. Juste avant de commencer à écrire cet article, j’ai touché ce livre, j’ai caressé la couverture avec amour et délicatesse comme si je lui disais merci. Merci à ce livre, merci à ses auteurs, merci à ce petit cochon -héros malgré lui- de m’avoir tant offert durant ces pages. Un peu de rêve mais surtout énormément d’espoir. Espoir pourquoi ? Pour quoi ? Pour l’après, après l’obscurité.

J’ai lu cette bande dessinée juste avant de perdre un être cher. Une personne avec qui je ne partageais pas le même sang mais avec laquelle j’étais liée par une sensibilité, un regard sur le monde, une évidence. Merci la vie. Je lisais cette bande dessinée et je savais, je savais que j’allais perdre cette personne bientôt. Et c’est fou comme parfois tout arrive à un moment donné, précis, ou peut-être pas d’ailleurs, mais tu as envie d’y croire, tu crois pas ? Qu’importe, j’ai lu ce récit et tout comme le héros, j’ai dit aurevoir, je lui ai dit aurevoir puis je me suis laissée envahir par cette dernière page, par cette aube qui annonce l’espoir et une vie autre. Pas une nouvelle vie. Une vie autre. Dans laquelle on est toujours ce que l’on est, mais avec, en sus, ce sentiment puissant de gratitude. Qui te fait voir les choses belles, qui te pousse à remercier et à te sentir plus fort, plus grand.

Rembobinons, s’il vous plaît. Pardon. De la noirceur, il y en a, dans ce récit. Elle est symbolisée par les brumes qui menacent le village de Val-de-l’Aube dans lequel ses habitants vivent insouciamment. Sauf Pierre qui, suite au décès de son père, est devenu veilleur des Brumes. Il lui incombe la tâche de s’occuper du barrage, dernier rampart contre cette marée d’ombres, marée mortelle. Les villageois ont oublié, depuis le temps. Lui ne peut pas. Oublier. Car tout dépend de lui. Tous ses autres camarades s’amusent, font des bêtises, apprennent. Lui, il fait juste semblant car tout repose sur ses épaules. Cette résignation. Elle est omniprésente. Etouffante. Mais elle est.

Vous l’aurez remarqué, Pierre est un cochon. Et sa meilleure amie est une renarde. Et son autre ami/ennemi/ennemipasttantqueça/etfinalementgrandami est un rhinocéros. Les personnages sont des animaux mais c’est fou à quel point on finit par ne plus y prêter attention. On en a moins l’habitude quand on lit des « trucs de grands » mais après tout, l’anthropomorphisme, c’est un peu la base de la littérature jeunesse (et je me permets d’ailleurs de déposer ici la sempiternelle question « Quel animal est Tchoupi ? », c’est cadeau les parents) mais après ? Après quand on grandit ? Pourquoi on ne garde plus ce principe ? Parfois c’est le cas et ça donne de grandes oeuvres. La ferme des animaux. Maus. Mais c’est trop rare. On devrait davantage y revenir, à l’anthropomorphisme. Non ? Fin de cette parenthèse aux allures d’analyse littéraire du dimanche, oups du mercredi. Oupsi du jeudi, désormais.

Que se passe-t-il quand l’équilibre vacille ? Plus que cela, quand tout s’écroule ? Réponse : c’est le chaos.

Or, du chaos peuvent naître de très belles choses. Si tant est qu’on traverse et qu’on réussit les épreuves qui s’offrent à nous. Et comme dans toute aventure initiatique, le héros n’est pas seul même si c’est à lui de se dépasser lors des différentes épreuves. Pierre est accompagné de ses amis dans cette course contre la montre pour sauver leur village. Ils ont neuf jours pour éviter la catastrophe. Sinon le village -et la vie qu’ils ont toujours connue- seront détruits par les brumes.

En chemin, ces trois compagnons feront des rencontres déterminantes. Et trouveront des Ailleurs. Qui ressemblent aux leurs. Ils diront bonjour. Parfois avec méfiance. Ils diront aurevoir. Souvent avec reconnaissance.

Regardez, regardez comme c’est beau de dire aurevoir. Il y a des aurevoir qui veulent dire merci.

La force du récit est là. Dans cette image, ci-dessus. Elle réside en cette fraternité. Tout est là. Tout est dit. Illustré avec finesse, poésie. Nous sommes dans le sublime. J’ai tant pleuré à la lecture de cette bande dessinée. Car elle vient chercher en nous ce qui est fondamental. Elle nous montre le sens. On peut l’oublier, parfois. Après tout, c’est humain. Mais le sens, le vrai ? Il est là, en nous et ici devant nos yeux. C’est l’amour. Tout simplement. La famille, les amis. Tous. Nous vivons tous pour aimer. Nous sommes tous vivants parce que nous aimons. Bon ok, tout ça ça fait très religieux ou niais ou peut-être même que ça me rappelle les paroles de ma prof de yoga qui énonce que nous vivons parce que nous aimons tandis que je m’escrime à tenir l’équilibre de l’arbre. Mais n’empêche, c’est juste. Sans amour, à quoi bon vivre ?

Quant à cette quête du père, elle me touche d’une façon indescriptible mais c’est une autre histoire, que je vous partagerai peut-être un jour, ici ou là. Elle est cependant éternelle car elle renvoie à la question de l’identité propre à chacun. C’est une quête douloureuse, sans nul doute.

Mais qu’elle est belle lorsqu’elle est résolue, aussi dramatique en soit l’issue.

Toujours. Toujours autant d’émotions en lisant cette merveille. Je ne sais pas quoi dire de plus. Il y a tout, dans cette bande dessinée. C’est une épopée aux allures d’universel. Je ne peux rien ajouter de plus. Je ne sais pas quoi ajouter de plus.

Ou peut-être que si. Cette bande dessinée me donne envie de dire merci. De remercier ceux qui font de moi celle que je suis. Heureusement que l’art nous rappelle bien souvent que l’essentiel est là. Avec eux. Ma famille, mes amis. Mes amis qui sont ma famille.

Avec Elle.

Non, ce n’est pas un aurevoir. Tous comme le fait Pierre le cochon, je ne dis pas aurevoir, je dis merci. Merci J. Tu as fait partie de ma quête initiatique, de mon épopée, aussi modeste soit-elle. Tu m’as élevée avec tes mots au quotidien, ta joie à toute épreuve -c’est le cas de le dire- ton infinie bonté et ton altruisme exemplaire. Je suis un peu plus forte grâce à toi. Je peux le dire.

Je crois que je connais un peu mieux cette fille que j’ai été. Et celle que je suis devenue.

Je souris. Je sais que tu aurais lu cet article avec attention. Et, comme toujours, tu m’aurais dit que tu étais fière de moi. Tu aurais laissé un cœur sur une story. Tu aurais accordé de l’importance à mon univers que je présente virtuellement. Et tu m’aurais serrée dans tes bras, en vrai de vrai, tout me déclamant quelques mots d’amour qui sourient. Tu aurais laissé ici et là-bas un peu, beaucoup, de toi dans ma vie. Tu as laissé ici et là-bas un peu, beaucoup, de toi dans ma vie.

Il y a tant de choses à voir après le chaos. Je le sais, maintenant. Il y a ce lever de soleil qui m’attend. Il y a toi, d’une autre manière, il faut que je la trouve. Et il y a eux.

Pour toi, J. Merci.

Merci à l’association Croqu’Livre pour la découverte au groupe lecture Ados

Bandes dessinées / Mangas

Lightfall. Tome 01 : La dernière flamme / Tim Porbert / Gallimard BD

Dimanche soir. 21h12. Demain, c’est la rentrée et chaque membre de ma petite famille va reprendre le chemin de l’école. Moi y compris. Ce soir, je ne ressens pas cette mélancolie habituelle des veilles de rentrée, celle qui te titille gentiment l’estomac et te fait faire des rêves un peu étranges -peuplés d’élèves insupportables et de charmants collègues qui font généralement des trucs chelous. Carrément. Oui, mais ce blues, c’est un mal-déplorable-mais-pas-bien-méchant-en-fait qui s’empare de moi ces veilles particulières de jours particuliers. Ce soir, c’est différent. Car en vérité, je ne sais de quoi demain sera fait. Je vais faire en sorte que. Travailler comme si. Continuer comme. C’est ce qu’on fait tous, non ? Certains y arrivent mieux que d’autres. À faire semblant. Je le fais, pour mes enfants. J’agis comme je peux, ce n’est pas parfait. Je les regarde plus intensément. Je renifle les cheveux de mon petit garçon lorsqu’il m’offre une étreinte. Je m’enivre de sa candeur. Je continue à m’agacer gentiment contre ma fille, mon ado préférée, mon alter égo, pour des broutilles organisationnelles mais je ne peux m’empêcher de lui déclamer que « ce n’est pas grave » parce que réellement, ce n’est pas grave. Je détourne mon regard du sien car elle, elle pourrait deviner. Que j’ai peur. Je ne sais pas si cette sensation vous est étrangère, à vous aussi ? Si je suis la seule à ressentir/réagir ainsi ? Dites-moi que je ne présente pas les premiers symptômes d’une folie furieuse certaine mais que je suis juste humaine, femme, maman.

La littérature jeunesse nous apporte tant. Je le revendique haut et fort, ici et ailleurs. Je réalise qu’elle possède, outre le fait de nous faire réfléchir, le pouvoir de nous émerveiller et nous en avons tant besoin, en cet instant précis, de cette évasion composée d’autres réalités. De réalités gracieuses. De réalités aériennes. De réalités qui pansent les pensées déchaînées. Je lis actuellement l’un des plus beaux récits découverts depuis longtemps. Je le garde précieusement avec moi, partout, jusqu’à ce que je m’abreuve du tout dernier mot. Son pouvoir d’échappatoire est décuplé en ces moments sombres. « Annie au milieu » d’Émilie Chazerand. Retenez ce titre. Si vous ne le pouvez pas, ne vous inquiétez pas je vous en parlerai -longuement- ici, sur ce blog.

À ce récit divin s’ajoute un autre récit divin que j’aimerais vous présenter aujourd’hui. La seule première de couverture suffit à nous apporter la clairvoyance dont nous avons besoin. Et de l’espoir, qui est au cœur de cette histoire.

« Lightfall » peut aisément être une métaphore de notre monde. Celui dans lequel vivent Béa, l’héroïne, et tous les autres personnages, est un monde empli de dangers. Ce qui n’est pas perceptible, au premier abord, lorsqu’on rencontre la jeune fille. En effet, Béa vit tranquillement avec son grand-père adoptif, un Cochon-Sorcier, fabricant de potions et gardien de la Flamme éternelle. On devine néanmoins qu’avec un tel statut, il n’est pas n’importe qui. Et l’on comprend que les petits déjeuners ne peuvent être des éternels recommencements de moments parfaits, composés d’œufs brouillés et de tendres échanges.

Un jour, tout change. Plus rien n’est comme avant. Pas même une lettre ne pourra modifier cet état de fait.

« Chère Béatrice,   
Je suis désolé si je t’ai paru distrait ce matin mais grâce à toi j’ai eu un flash. J’ai négligé un devoir de la plus haute importance. Je dois aller vérifier le Sceau du Dormeur sans repos ! Dommage qu’une tâche si cruciale repose sur les souvenirs brumeux et confus d’un vieux cochon comme moi.   
J’ai, à vrai dire, complètement oublié où se trouvait le Sceau mais je suis sûr que ça me reviendra.   
Je file !   
Quoi que tu fasses, ne me suis pas ! C’est trop dangereux ! Mais si tu me suis, enfile un pull…
« 

Que faire alors ? Continuer à vivre une vie rassurante, même si un être aimé n’en fait plus partie ? Ou combattre son angoisse maladive pour retrouver celui qui donne un sens si manifeste à son existence ? La réponse, nous l’avons déjà, elle est en chacun de nous.

Si la réponse est tout aussi profondément évidente pour Béa, dans les faits elle est toutefois dantesque. La jeune fille ne peut vivre sans son grand-père adoptif mais elle doit, pour le retrouver, combattre ses angoisses. Elle n’est en rien une super-héroïne. Ses failles la constituent et les faire disparaître n’a rien d’intelligible. Est-ce qu’on se prend facilement d’affection pour un personnage fragile et sincère ? Oui, bien sûr que oui. On l’aime à la folie, notre petite Béa.

Elle se lance. Véritablement et par amour. Une quête initiatique s’ouvre à elle. Pour la mener, elle sera accompagnée de Cad, cet être étrange rencontré précédemment lors d’une cueillette. Ce personnage ambitionne également de trouver le Cochon-Sorcier car il représente l’unique espoir de connaître les siens. Il paraît que son peuple n’existe plus. Cad serait le dernier des Galduriens. La vérité, vous l’aurez devinée, il n’y en a qu’un qui la détienne : le plus sage des plus attachants des plus drôles des Cochons-Sorciers.

Cad est inénarrable tant il est badin et sage à la fois. Disons simplement que Maître Yoda n’a qu’à bien se tenir, il a désormais un adversaire à sa taille. Quel personnage dingue dingue dingue. Tout le monde devrait avoir la chance d’avoir un Cad dans sa vie. Quelqu’un qui lui explique que la gentillesse primera sur tout, que l’amitié est la clé de tout. De tout. Sans que ce soit mièvre. Juste parce que c’est indubitable.

« Mieux vaut marcher avec un ami dans l’obscurité que seul dans la lumière ».

Heureusement que Cad est là pour Béa et que Béa est là pour Cad. À deux, ils pourront peut-être déjouer la terrible malédiction qui menace d’éteindre la lumière du monde. Ah bon ? Re-bonjour la jolie métaphore qui nous parlera, maintenant plus que jamais. Et c’est bien pour cela qu’on a besoin de cet ouvrage. Pour l’espoir qu’il nous apporte. L’espoir qui nous fait tous vivre aujourd’hui et qui nous fera renaître demain.

Je n’en dirai pas plus. Regardez plutôt.

Bandes dessinées / Mangas, Coups de cœur

L’année où je suis devenue ado / Nora Dåsnes / Casterman

Je ne sais pas vous, mais plus on grandit plus on a tendance à rayer de notre esprit les états incroyables dans lesquels nous nous mettions lorsque nous étions jeunes, vraiment jeunes. Peut-être que vous l’êtes encore, vous ? Ou peut-être que vous n’avez pas oublié ces situations si particulières. Quand nous nous embrouillions avec nos amis et que cela engendrait des histoires qui nous dépassaient par leur immensité romanesque. Quand nous avions un crush sur un garçon/une fille, que nous ne dormions pas huit jours avant le jour J, celui du rendez-vous, celui du cinéma et de la main certainement moite qui effleurera sans doute la nôtre. Quand nous vivions des moments gênants ou de grands malheurs et que nous n’attendions qu’une seule chose : dormir et éventuellement mourir (mais en musique avec la musique la plus triste de toutes les musiques tristes. Je suis certaine que vous voyez exactement ce que je veux signifier par là).

Vous avez oublié tout ça, vous ? Ça peut arriver et ce n’est pas grave. Après tout, ce n’est que la faute de la vie pas-cool-parce-que-la-plupart-du-temps-elle-est-loin-d-être-magique-d-ailleurs-j-ai-du-linge-à-étendre. Mais ce serait chouette si on pouvait y repenser. Ou le vivre. Ça peut arriver. Tout est possible. Comme lorsque vous retombez amoureuse, à 31 ans, après avoir mis un mec dans votre caddie à gauche de votre écran d’ordinateur après que lui-même vous ait jeté un sort avec une baguette magique virtuelle. J’y reviendrai peut-être un jour, sur ce truc dingue mais dingue qui te bouscule à tel point que tu oublies que tu n’as pas étendu tes fringues depuis deux jours.

Tout cela pour vous dire que cela se produit, encore, de ressentir tout ce bordel d’émotions. Ou alors, à défaut de le vivre, un livre -oui, un simple livre- peut vous ramener à ça, à ce qui vous faisait vous sentir si vivant que vous aviez peur d’en décéder. Hé hé. C’est un peu ce qui m’est arrivée avec ce joli roman graphique. C’est comme s’il m’avait pris par les épaules, me les avait secouées et m’avait crié à l’oreille : « eh oh t’as oublié, ou quoi ? » Il faut bien évidemment que je fasse ici une mise au point : bien sûr, je réalise toujours avec émotion, en ouvrant les yeux le matin, que je me réveille avec l’être aimé. Et c’est toujours aussi bien ! Simplement, je ne sors plus du lit en mode ninja pour me brosser les dents en mode ninja-qui-se-brosse-les-dents-oui-j-aime-un-peu-trop-les-tirets, pour ensuite revenir me blottir contre cet être aimé l’air de rien. Quoique, c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans l’amour : le fait qu’après plusieurs années passées ensemble, même avec votre vieux t-shirt de Motörhead et votre haleine qui laisse à désirer, celui qui est à côté de vous vous aime de manière aussi évidente qu’au premier jour, et vice-versa. Rien ne changera ça, pas même du colgoute spécial dents blanches au charbon. Quoi, je m’égare? Encore ! Pas possible !

Lorsqu’on a ce roman graphique en main, on ne s’attend pas vraiment à lire ce qu’on va lire. Enfin, pas tout à fait. La couverture est très chouette mais on la regarde différemment une fois le récit terminé. Elle n’est plus chouette. Elle est évidente. Elle raisonne alors avec tout, tout ce que vous avez lu, tout ce que vous avez vu, au long des quelques 200 pages.

Tout est différent, après. On ne voit plus de la même façon la forêt, la musique qui s’échappe du casque, les regards en arrière-plan, les mains dans les poches.

Ce roman graphique de Nora Dåsnes est traduit du Norvégien mais, très honnêtement, l’histoire pourrait se jouer n’importe où. Elle est universelle. Il n’y a qu’à moi que cela ait quelque peu posé problème car il a fallu que je recherche le caractère spécial å pour écrire le nom de l’autrice. J’ai appris, d’ailleurs, grâce à notre cher Wikipédiou, que la lettre å constitue aussi un mot à part entière, en danois, suédois et norvégien et qu’il signifie ruisseau ou rivière. C’est joli, je trouve, non ? Cette image s’accorde bien avec ce récit dans lequel la nature occupe une place importante. C’est une belle analogie que nous tenons là.

Je crois qu’il n’y a pas besoin de commentaire. Ou peut-être que si. Cette cabane. Cette petite fille qui s’en va écrire dans son journal en une douce fin d’été. Cette illustration montre peut-être exactement ce à quoi pourrait ressembler une petite fille avant qu’elle ne connaisse les tourments propres à l’apprentissage de la vie, lorsque l’on devient adolescent.

Au tout début de ce roman graphique, on apprend qu’Emma a passé un été tranquille, apaisant. Un été simple, qui lui ressemble. On imagine -puisqu’on apprend à la découvrir à travers son journal intime- qu’elle a joué de la clarinette et qu’elle s’est gavée de bonbons acides à la fraise. Qu’elle a dessiné dans son carnet, bien sûr. Ce qui est certain, c’est qu’elle a profité de bons moments avec son père -le meilleur père au monde de toutes les histoires des pères fictifs, je vous le dis- jusqu’au dernier jour, celui qui marque la fin de l’été parce qu’ils savourent tous deux les dernières glaces du congélateur. C’est doux, comme ambiance. C’est chaleureux et reposant, comme une belle et longue journée d’été. Rien ne présage que ce sera différent désormais. Parce qu’il y a bien encore deux mondes séparés pour Emma : celui du collège qui est un monde fermé, ennuyeux, marqué par les obligations, et celui de la forêt, qui renferme une cabane (ou plutôt une base), des combats de bâtons et un joli sentiment de liberté.

Regardez, il y a un petit ruisseau derrière. Un petit å.

Sauf que ! C’est la rentrée en cinquième et tout change. Tout ce monde qu’elle s’était construit, fait de poursuites dans la forêt et de grandes discussions avec Bao et Linnéa, ses deux copines de toujours, s’écroule. Disons plutôt qu’il s’effrite, petit à petit. À cause de quoi ? De l’amour évidemment ! Quel fourbe, celui-là.

L’amour, c’est trop débile ! Car Linnéa tombe amoureuse et fait vaciller le trio gagnant. Cela peut nous faire sourire, nous les adultes, mais tout se passe exactement comme cela quand on grandit. L’amitié est mise à rude épreuve et la façon dont on peut réceptionner cette fragilité nouvelle peut être vécue de manière très intense.

L’histoire qui se joue dans ce roman graphique pourrait être celle de toute jeune fille d’une douzaine d’années qui se situe à ce moment exact de sa vie où elle n’est plus une enfant mais pas encore une adolescente. Ce n’est pas le moment le plus confortable d’une existence parce qu’il y a toutes ces questions existentielles qui taraudent celui ou celle qui les vit. C’est ça : il y a peu, dans la tête d’Emma, elles n’existaient même pas, ces questions. Tout était beaucoup plus simple. Aussi simple que de déguster les lasagnes du meilleur papa de tous les papas fictifs, un samedi soir, sur le canapé. Désormais, elle n’arrête pas de penser à cette histoire de maturité. Qu’elle soit une fille-qui-a-des-histoires-d’amour ou une fille-qui-n-a-JAMAIS-d’histoire-d’amour (je suis ici obligée d’insérer une parenthèse chère à mon coeur pour vous dire à quel point je suis heureuse de voir qu’il y a aussi des autrices qui utilisent des tirets chers à mon coeur pour appuyer des expressions).

Ce que j’aime particulièrement, dans ce roman graphique, c’est la vérité justement retranscrite, que ce soit avec les images ou avec les mots. Parce que, clairement, il n’y a aucune facilité ni chemin tout tracé dans la vie. Vraiment, vraiment pas de chemin tout tracé. Encore moins en amour. Malgré tout ce qu’on a pu assimiler en la matière, depuis l’enfance. Je veux parler de cette image normée de l’amour. Rien n’est pas facile, surtout si les sentiments ne s’accordent pas avec les représentations longtemps imprégnées en nous.

Et puis Emma réalise elle aussi qu’elle est amoureuse – après bien des questionnements. Ben oui, comment on sait si on est amoureuse ? Linnéa lui apporte des pistes de réflexion : On le sait, c’est tout on le sent dans le ventre et puis on pense tout le temps à la personne et on trouve que c’est lui le PLUS BG de tout le collège !! et puis on devient un peu parano on le stalke sur Snapchat et tout. Oui, être amoureux, ça ressemble à ça mais chacun peut adapter cette version à sa propre vie – et à son âge, parole de presque quarantenaire (Oui ? Ben oui). C’est génial d’être amoureuse, c’est ce qu’Emma attendait pour être enfin cette fille mature, pour être comme les grands, les adolescents, les adultes. Et puis, c’est si chouette de se sentir amoureux. C’est comme être pleine de soda à l’intérieur. Comme se réveiller un matin de Noël.

Néanmoins, cela fait peur à Emma. Pourquoi ? On revient à cette fameuse image normée de l’amour qui est sensée coller à nos sentiments. Elle ne colle clairement pas avec ceux de la jeune fille. Emma est amoureuse de Mariam. Cela est compliqué à gérer, pour elle. Parce qu’il y a cette adrénaline que l’amour déclenche et qui est génialement flippante -cette peur est plutôt sympa et facile à apprivoiser- mais il y a aussi cette angoisse viscérale du regard des autres et celle-ci n’est pas celle qui te pousse à gravir mille Everest alors que tu n’as jamais fait une rando de ta vie. Elle est davantage du genre à te figer sur place, comme si tu ne faisais qu’une entité mi-homme mi-goudron avec le sol. Alors imaginez si l’on rajoute quelques complications amicales voire quelques trahisons…

Heureusement, il existe des personnes, que dis-je des piliers. Qui, quoi qu’il vous arrive dans votre vie, sont là. Juste là. Vous voyez où je veux en venir ? Vers qui ? Mais oui, vers ce père, le meilleur père de l’histoire des pères fictifs. Non seulement il fait les meilleures lasagnes du monde mais il fait partie de ce genre de specimen peut-être devenu trop rare qui écoute puis qui énonce simplement les mots qu’il faut. Les mots parfaits.

Le personnage du père est l’un des mes personnages préférés de ce roman graphique, vous l’aurez compris. Je crois que je suis tombée un peu amoureuse (pardon, mon amour mais ce n’est qu’un crush romanesquement fictif). D’autant plus qu’il a de très très bons goûts musicaux.

Est-ce que ça se fait de demander à Emma si je peux épouser son papa ? Mon amour, tu sais peut-être ce qu’il reste à faire…

Nous ne connaissons pas l’histoire d’Emma et de son papa. Pourquoi vivent-ils seuls ? Emma en souffre-t-elle ? Ne sont relatés que des moments d’une justesse infinie. Que ce soit des discussions à cœur ouvert ou des interrogations drôles mais existentielles sur la façon la plus propice de réagir quand on est père d’une fille qui devient ado. Il y a tant de tendresse dans ce récit. Elle est à son apogée avec la scène démontrée ci-dessus mais elle se ressent tout au long de la lecture. Jusqu’à la fin qui est sublime. Les dix dernières pages sont d’une beauté indéniable. A l’image de tout le roman. Mais alors, la fin. Il est difficile de s’en remettre. Âmes sensibles, ne surtout pas s’abstenir !

Ce roman graphique est à mettre entre toutes les mains. Que vous soyez préado, ado ou adulte. Pour maintes raisons. Pour accompagner les sentiments terrorisants et parfois contradictoires que vous ressentez. Pour comprendre les autres et les regarder différemment, au-delà des apparences et surtout des normes. Pour se souvenir et se rappeler que tout ce remue-ménage d’émotions, c’est ce qui nous rend vivants. Alors, n’oublions pas et vivons. Vraiment !