Romans pour ados

J’ai égaré la lune / Erwan Ji / Nathan

Tu t’es déjà sentie vivante ?

Ce roman, cela faisait des mois qu’il prenait la poussière sur ma table de chevet improvisée. A noter, c’est un livre que j’ai emprunté dans mon CDI. Je me le suis emprunté à moi-même. Ce qui est assez cocasse, n’est-ce pas, alors que je suis la première à râler après les élèves tandis que je les pourchasse dans le couloir pour récupérer leurs prêts. Ne me jugez pas merci bien.

Pourtant, j’avais énormément envie de le lire, ce roman, puisqu’il fait suite au très réussi « J’ai avalé un arc-en-ciel » qui m’avait déjà marquée pour mettre si joliment et naturellement en scène l’homosexualité féminine. Mais, la vie fait que parfois, ce n’est pas le moment et hop, comme par enchantement ou, au contraire, comme une évidence, cette petite filoute de vie nous rappelle juste quand il faut qu’elle a ce qu’il faut. Quand j’ai entamé ce roman, j’avais besoin de beau, de liberté, d’évasion et d’un peu de folie. Je n’ai pas été déçue.

Le résumé, déjà. Il dit déjà tout ou du moins l’essentiel. Qu’est-ce que la vie, sinon tout ce qu’on n’a pas imaginé ? Comme Capucine, quand j’étais petite, je rêvais d’une vie à 20 ans que je n’ai clairement pas vécue. Maintenant que j’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup de recul – une bonne trentaine d’année de recul oui oui ça fait beaucoup- je peux le narrer avec -oui même avec- un sourire. A 20 ans, j’en étais à mon année +2 de ma dépression. Je me battais avec mes blessures, ma vie, moi-même, tout ceci dans une chambre de 9m2 au sein d’un campus universitaire pas joli joli. A 20 ans, j’essayais de me sevrer tant bien que mal d’un cocktail de médocs qu’un psychiatre qui n’avait de psychiatre que son nom m’avait prescrit avec un hummm de psychiatre et pas plus. Bref, à 20 ans je ressemblais davantage à Ewan Mc Gregor dans Trainspotting en mode je-vois-un-bébé-chelou-marcher-sur-les-murs-parce-que-suis-en-sevrage qu’à Mme future Claire Chazal, étudiante parisienne dans une grande école de journalisme, écumant les soirées et les amoureux avec joie et insouciance. Oui, petite je me voyais présentatrice du journal télévisé. Entre parenthèses, je ne m’imaginais pas le monde télévisuel comme une machine à fric bien pourrie et inégalitaire avec des présentateurs criminels. J’avais 7 ans, quoi. Bref, à 20 ans je n’étais pas la grande personne que je m’étais imaginée petite fille. Comme à peu près, 99,99 % des gens. Comme Capucine.

La transition entre l’enfance, l’adolescence et le monde adulte est sacrément difficile. Pas seulement parce que ce n’est pas cohérent avec tout ce qu’on avait imaginé ou si joliment tracé, dans nos petites têtes de petits enfants naïfs et innocents. Mais parce que s’offre à nous, à ce moment précis, tout un monde de responsabilités et d’inconnu. Autant vous dire que l’inconnu de Capucine est immensément grand. Car la voilà projetée à Tokyo, avec son amoureuse. A deux et avec un amour comme le leur, tout est possible et kiffant mais quand Aiden doit retourner en Californie et laisser malgré elle Capucine à Tokyo, ben là, ça devient carrément flippant.

Parce que Tokyo, quoi. Je ne vais pas vous mentir, jamais je n’irai. Trop de monde, trop de tout. Capucine ne cache rien de cela. De cette immensité qui enivre, qui dynamise autant qu’elle donne le tournis. Mais notre jeune héroïne nous fait découvrir la ville comme aucune guide touristique ne le fait : avec son regard de jeune expatriée qui ne connaît ni la langue, ni les coutumes, ni le quotidien. Et il y a là quelque chose de grisant, de chouette. Cela ferait presque pencher la balance du bon côté : celui qui te fait oublier que tu vis dans une métropole de 14 millions d’habitants et que tu fais ta vie sur une faille géante. Sismiquement parlant, ça n’a pas l’air hype. Mais Capucine rend tout cela délicieusement appréciable et drôle, tellement drôle. Elle arrive à faire de ses déconvenues et de ses maladresses des moments insolites mais joyeux. C’est le pouvoir de l’auto-dérision.

« Et puis j’ai souri aussi parce que c’était la première fois depuis mon arrivée à Tokyo que quelqu’un me demandait ce que je faisais un vendredi soir. C’est un marqueur social, je trouve. De touriste à résidente, d’une certaine façon, ma vie tokyoïte décollait »

Et puis Capucine nous fait découvrir cette vie tokyoïte comme personne : les konbini, ces supérettes ouvertes jour et nuit (à Miami, il y a des palmiers, à Tokyo il y a les konbini), les izakaya (sorte de bistro dans lequel vous pouvez croiser des salarymen, des hommes en costume cravate qui finissent de travailler tard et qui aiment boire de l’alcool pour oublier qu’ils ont fini de travailler tard), les jiko bukken (ça c’est chelou, ce sont les maisons dans lesquelles il s’est passé une mort bizarre, les maisons qui se trouvent près d’un cimetière, ce genre de joyeusetés). Quant à la gastronomie japonaise, elle n’a plus de secrets pour nous lecteurs. Mieux -ou pire, à voir- vous aurez envie de trouver la première épicerie asiatique du coin et de vous gaver de Udon (des pâtes épaisses qui trempent dans du bouillon), de natto (bon ça c’est seulement si l’idée de manger des haricots de soja fermentés vous fait kiffer) ou encore d’okonomiyaki (sortes de pancakes-omelettes japonaises délicieuses, dixit Capucine, on la croit). Tout ceci n’est qu’un aperçu de toutes les petites et grandes découvertes de Capucine, durant les quelques mois passés à Tokyo. Ça donne terriblement envie.

Lorsqu’Aiden, sa petite amie, est contrainte de quitter la capitale japonaise pour la Californie, la plus grande découverte que fera Capucine sera spirituelle et clairement à vocation initiatique. Car quelle meilleure ou pire manière de se découvrir soi-même que lorsqu’on se retrouve perdue dans une ville qui est étrangère jusqu’à la langue parlée. Ouaip. Capucine n’est cependant pas seule puisqu’elle intègre une colocation en mode « auberge japonaise » qui pourrait sans nul doute faire de l’œil à Cédric Kaplisch pour un quatrième volume au cinéma. Si jamais vous avez l’idée d’un titre… Je l’aime bien, cette coloc. Personne n’y est parfait mais tout le monde y est parfaitement à sa place. C’est un si joli paradoxe. Il y a quelque chose de beau à être témoin de leur vie qui se forme dans le petit cocon qu’il ont créé et qui ne ressemble qu’à eux. J’ai aimé observer Lubin réaliser des tableaux Excel que lui seul semble comprendre, Koji avec ses orteils nus sur le tapis, Zenos qui peint debout au milieu du salon, Soo-Jin qui cache sa fragilité sous une capuche et Babar-la-big-boss-de-la-maisonnée qui traduit une lettre trouvée dans la maison.

Je ne vous ai pas encore parlé de cette lettre. Il faut que je vous parle de cette lettre. Laquelle offre au récit une intensité dramatique inattendue. Je vous le dis, je ne m’en remets pas. Gros choc émotionnel. Elle est datée du 30 avril 1955 et narre le bombardement de Tokyo du 10 mars 1945. 279 bombardiers. 100 000 japonais tués.

« Je m’en souviens comme si c’était hier. Les bras tendus comme des ailes, tu vins te cogner contre les jambes de ta soeur, produisant le son d’une explosion, puis tu te roulais par terre, et éclatas de rire lorsque Eiko te chatouilla. Tu n’avais pas encore trois ans ; la gravité de la situation t’échappait ».

3 ans, c’est l’âge de mon fils. Mon tout doux. Qui vit dans son monde de voitures volantes et de bateaux géants. Qui rigole quand on dit « gnokikis ». Qui chante « vite vite il faut se réveiller c’est la rentrée cheveux en pééééétard un peu dans le brouillard toilette de chat un peu raplapla » et qui mime le tout comme si c’était De Niro en plein cours d’actor studio. C’est ça voir 3 ans. Ce n’est pas devoir échapper à la mort.

Je ne vous en dis pas plus, de cette lettre. Elle a toute son importance au sein du récit et dans la vie de Capucine.

Bon. On retrouve ici, sur ce blog, mes avis complètement déstructurés. Donc j’enchaîne ! Ce que j’ai également beaucoup aimé dans ce roman, ce sont toutes les réflexions que l’on peut avoir sur l’amour. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas linéaire l’amour. Cela ne correspond pas à une seule et même image, un homme un femme des enfants et ils vécurent heureux. Cela peut tout à fait être deux femmes qui s’aiment ou deux hommes. Mais pourquoi se poser des questions, en fait ? Est-ce que ce ne serait pas juste de l’amour et puis c’est tout ? Ben oui. Et c’est déjà ce que j’avais aimé dans « J’ai avalé un arc-en-ciel », le volume précédent. Le fait que l’homosexualité ne soit pas traitée comme un problème avec tout son lot de dramas. Dans le premier tome, Capucine comprend vite qu’elle est amoureuse d’Aiden, c’est tout naturel. Avant elle était amoureuse de Ben, et puis c’est tout. Elle avoue son ressenti à ses parents qui l’acceptent sans aucun problème et puis c’est tout. Y a tellement de choses dans ces « et puis c’est tout ». Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les extrapolations incessantes des « gens » mais c’est Capucine qui s’en charge dans ce roman :

La liberté d’aimer. Voilà tout. Ce récit, c’est juste une magnifique ode à la liberté. Bien évidemment, ce n’est pas facile d’aimer librement. Cela n’empêche pas de ses poser mille questions. Quand Capucine se découvre des sentiments pour l’une de ses colocs (Soo-Jin, la fille fragile qui cache sa fragilité sous sa capuche), ce sont aussi toutes ses convictions qui vacillent. C’est si intelligemment décrit. Parce que celui/celle qui n’a jamais douté durant une relation amoureuse jette la première pierre à celui qui. J’ai rarement lu ça dans un roman. Tout semble toujours évident. Ou alors il y a un obscur triangle amoureux à résoudre du type Edward-Bellaquiminaude-Jacob, qui n’est pas transcendant (ne vous méprenez pas, j’ai été fan archi fan de Twilight durant ma jeunesse, je m’insurge surtout parce qu’il n’y a pas de débat possible hein, il n’y a jamais eu qu’Edward on est bien d’accord). Dans ce roman, c’est bien plus profond, c’est à la fois aussi doux que de tenir la main de Soo-Jin toute la nuit pour combler un vide que douloureux comme un baiser qu’on réfrène alors qu’on en a terriblement envie. Ce n’est pas l’une Aiden ou l’autre Soo-Jin et hop, on finit par choisir. C’est beaucoup beaucoup, beaucoup plus subtil. C’est joli, aussi.

« Soo-Jin était recroquevillée sur son futon au milieu de ses peluches. Elle pleurait dans les bras de Jean-Pierre. Ça m’a fait froid dans le dos. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Je suis allée m’assoeir à côté d’elle et j’ai posé ma main sur son épaule. Elle a serré Jean-Pierre plus fort (…) Ne sachant pas trop quoi faire, je lui ai parlé en français. Soo-Jin adore que je parle en français. J’ai récité Le Lion et le Rat, Le Corbeau et le Renard et La Cigale et la Fourmi en lui tenant la main ».

C’est beau. Vous voyez, y a pas de tromperie hyper glauque ou un triangle amoureux vampiro-louggarouesque. Y a juste deux êtres qui se lient quand ils ont besoin de se lier. Et des tonnes de questions qui en découlent. En tous cas, ça ressemble terriblement aux petites complications de l’amour qui, vous l’avez bien compris, n’est pas linéaire et uniforme. Ça ressemble un peu à ça la vie, non ? Oui. Et aussi, dans la vie, les doudous existent même quand on est grand, moyen grand ou très très grand. Le mien s’appelle Surimi, il fait 1m20 et c’est un Lémurien tout usé. Merci Soo-Jin, passe le bonjour à Jean-Pierre.

Ce roman, c’est un gros gros shoot de vie à l’état pur. Ce qui induit une bonne réflexion sur le pourquoi et le comment de l’existence mais aussi sur sa fin. Ça remue pas mal. Mais qu’est-ce que ça fait du bien d’être bousculé, de ne pas forcément contrôler ses émotions. Y a juste à lire ce roman immensément riche, en questionnement, en émotions, en tout. Un roman que je « grenouille » passionnément. Qu’est-ce que c’est que ce terme, encore ? Ah ah. Vous le saurez en lisant cette merveille…

Coups de cœur, Romans pour ados

Retour à Moosonee / Antje Babendererde / Bayard Jeunesse

Vous qui désormais me connaissez un peu mieux, vous savez que je suis sentimentalement au top niveau et que j’aime parler amour. Et bien aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, je vais parler crush (comme une ado et non pas comme la boomer que je suis, of course).

Sachez qu’il est tout à fait possible de parler de crush pour la littérature. De crush littéraire. Parce que ça arrive réellement. C’est comme un coup de foudre avec des mots, des personnages, une histoire. Mais comme tout véritable crush, cela reste assez rare.

Mon tout premier crush littéraire ? J’avais 8 ans et ce crush a viré en drama mezzo forte. « Toufdepoil » de Claude Gutman. Je dis pas, le titre, il est moyen, il prête à sourire mais EN AUCUN CAS on ne sourit en lisant ce roman que j’avais dû demander à ma mère à la fin de courses endiablées au supermarché alsacien du coin (au « Rond-Point » certainement, car en Alsace, il y avait de drôles de noms de supermarchés comme « Rond-Point » ou encore « Unico », bref). Pourquoi je l’ai demandé, ce livre ? Je vous le dis en mille : parce qu’il y avait un chien sur la couverture et qu’il ressemblait au chien que j’avais eu quelques années auparavant, un briard nommé Waldo. D’où mon crush pour Toufdepoil. Crush immédiat. Evident. Intense. Fortissimo.

Bon, en vrai, on est d’accord, j’aurais dû complètement me méfier de l’air paniqué du petit garçon. Mais j’avais 8 ans, hein, et le chien prenait tout la place sur l’image et dans mon cœur

Le speech, il est simple. Le petit garçon est fou amoureux de son chien qui lui apporte tout l’amour qu’il a perdu car sa mère est partie et que son papa l’élève seul. Ce dernier est en pleine dépression – en passant, c’était assez dingue d’aborder les thèmes de la famille monoparentale et de la dépression dans un roman jeunesse à l’époque – et le petit-garçon-dont-j-ai-oublié-le-nom va vivre un pur cauchemar, la faute à la belle-mère-atroce-tendance-mère-dans-vipère-au-poing qui débarque dans leur vie. Car oui, la belle-mère est horrible et le père va devoir faire un choix : le chien ou sa nouvelle femme. Vous devinez la suite ? Rajoutez à cela un terrible mensonge du genre « toufdepoil est allé rejoindre une jolie et gentille famille à la campagne » et vous aurez une idée de mon état de jeune lectrice à l’époque. J’ai rarement ressenti autant d’amour et de haine à la lecture d’un roman. Un crush qui fait mal. Qui finit mal. J’ai autant aimé ce livre qu’il m’a fait du mal. C’est-à-dire beaucoup, beaucoup, beaucoup. Un peu comme pas mal de mes histoires d’amour passées. Merde, en lisant ces mots, je me dis que j’aurais peut-être bien besoin d’une petite thérapie.

Mon premier crush pour ce chien, Toufdepoil, a été suivi de tant d’autres. Tobie Lolness, Hadrien, Sophie et SON choix, Miss Charity, Augustus Waters et Hazel Grace Lancaster, Colin et Chloé. Tous ces personnages que j’ai aimés à la folie et qui m’ont embarquée dans de sacrées montagnes russes d’émotions.

Je m’égare ? Oui, oui et encore oui. Comme d’habitude ! Quoique, pas tant que ça car il fallait bien une introduction pour vous expliquer que cette lecture, « Retour à Moosonee », c’est devenu un crush. J’ai pleinement jeté mon dévolu sur ce roman, sur ces personnages, ce lieu. Pourtant, je l’ai recommencé à trois reprises. Ce n’était pas gagné. Certainement que je ne devais pas abandonner la lecture, je DEVAIS lire ce récit. Crescendo.

Alors, ça parle de quoi ?

Tout part d’un lieu. Un « endroit ». « Il y a des endroits dans le monde qui ont le pouvoir de changer les gens. Je ne le savais pas encore, alors mais Moosonee était de ceux-là ». C’est dingue déjà, de lire ça. Je suis complètement d’accord avec cette idée. Je pensais être la seule à penser cela ! Tout comme une musique peut intégrer la BO de votre vie ou un livre peut coller idéalement à une situation qui vous définit, un lieu peut déterminer votre vie. Et puisque sur ce blog, je vous confie des tas de choses, je peux vous affirmer qu’à jamais, la Bretagne sera LE lieu de mon changement de vie lorsque j’ai effectué un virage à 180° à l’aube de mes trente ans. Je me souviens avec exactitude de chaque instant de ce voyage, des éclats de rire de mes amies, des confessions existentielles et nécessaires au bord d’une falaise ou autour d’un café, du sentiment d’être enfin moi sur une chanson de Beyoncé dans une boîte de nuit quasi vide de Crozon, de l’album de Nick Cave que j’écoutais sur la route du retour. Vers la réalité. J’ai eu un aperçu de ce que je pouvais être, en Bretagne et nulle part ailleurs. Ma vraie moi. Ça fait très télé-réalité dit comme ça, très « dans la vraie vie » comme s’il y avait une vie parallèle et une autre qui serait la bonne. Mais je n’ai pas mieux, là maintenant. La vraie moi.

Pour notre héros Jacob, le lieu décisif est le Canada, le Grand Nord, Moosonee. C’est ce lieu qui va lui permettre d’en savoir davantage sur ses origines. Jacob a tout un puzzle à assembler. Sa maman est allemande et est repartie vivre en Allemagne avec Jacob après avoir vécu quelques temps avec le père de Jacob – de la tribu des Cree – qu’elle a aimé éperdument depuis leur coup de foudre jusqu’à un terrible accident de voiture. Mon résumé est bancal, certainement mal formulé, mais je pense que vous avez saisi l’idée : Jacob ne sait pas qui est réellement son père. Par conséquent, il décide, à l’aube de l’âge adulte, de traverser la terre pour le rencontrer. N’en déplaise à sa mère ou à son beau-père (qui est sans doute la copie féminine de belle-maman dans Toufdepoil).

Dès lors qu’il débarque au Canada, diverses déconvenues lui arrive. C’est un euphémisme quand on sait qu’il va être attaqué par un ours. Sa vie dépendra alors de deux personnes, dont Kim, une jeune fille Cree quelque peu agressive rencontrée quelques heures auparavant dans un train. Ce sera la grande épreuve initiatique de la vie de Jacob et le fait que Kim en fasse partie n’est pas du tout anodin. Sans doute que cet évènement devait aussi se produire pour la jeune fille au passé bien douloureux.

Tout le roman possède comme une aura mystique. Totalement en raccord avec les croyances de ce peuple. C’est quelque peu magique dans le sens où il y a quelque chose qui vous dépasse. Tout ne s’explique pas rationnellement. Il peut y a voir des explications dans la nature, les signes, les songes.

La situation de Jacob n’est pas aisée. Lui qui a grandi en Allemagne et qui n’a connu la culture Cree que quatre ans durant. Dès lors, la recherche d’identité du jeune homme s’avère davantage ardue. « Jamais je ne m’étais senti aussi écartelé. D’un seul coup, mes racines cree prenaient le pas sur tout ce qui avait fait ma vie d’avant : mon choix d’être végétarien, ma haine de Stefan, mon combat contre la maltraitance des animaux, mon amour de la musique et du sport ».

Aucune rencontre n’est due au hasard, dans ce récit. Chacune d’entre elles est déterminante pour que Jacob puisse savoir qui il est réellement. Même quand il s’agit de rencontrer un ours.

C’est dingue comme le corps peut emmagasiner des tas de traumatismes et vous envoyer plein de signaux douloureux comme des alertes pour enfin résoudre la cause de ces traumatismes. Bon, on a aussi le droit de haïr tous ces professionnels qui ne prennent pas le temps d’écouter et relèguent les douleurs directement dans « la tête ». C’est dans votre tête, madame. Qui n’a pas déjà entendu dire ça ? Je crois qu’il n’y aura pas foule pour lever la main. Moi la première.

Dans le cas de Jacob, ses crises de convulsion sont impressionnantes. Sans doute parce que ce qu’il découvre petit à petit a toujours été tu par sa mère. Les secrets de famille et le silence qui en découle se sont solidement ancrés dans son cerveau, le rendant incapable de fonctionner correctement. S’ajoute à cela, une histoire plus grande encore qui prend ancrage des décennies plus tôt. Ce qu’on va découvrir est de grande ampleur. Je ne vais pas tarder à spoiler donc si besoin, activez le curseur et descendez encore et encore jusqu’à ce que je vous dise au revoir et merci pour votre patience infinie.

Vous le savez peut-être mais le Canada possède une Histoire qui, sous bien des aspects, est absolument condamnable. Et je l’ai découvert, il y a très peu d’années. Je vous jure, je n’avais jamais entendu parler des pensionnats pour autochtones destinés à évangéliser et assimiler les enfants autochtones au cours du 20ème siècle, au Canada. Je suis tombée sur un documentaire sur Arte qui en parlait, il y a quelques années, et j’ai vu. J’ai écouté aussi, les témoignages de ceux qui sont ressortis de ces pensionnats, des enfants de ceux qui sont ressortis de ces pensionnats. En plus d’être séparés de leurs parents, ces enfants ont vécu les pires violences et n’ont jamais réussi à se reconstruire si toutefois ils en sont sortis vivants. Les traumatismes ont eu un immense impact sur les générations suivantes. Misère, pauvreté, alcoolisme. Le grand-père de Jacob. Le père de Jabob. Jacob. « Tu as notre histoire dans le sang, mon garçon ; que tu le veuilles ou non » prononce Anak, l’un des personnages centraux du récit.

« Nous ne pouvions pas nous entraider, ce qui est totalement contraire aux valeurs des Cree. Ils voulaient nous briser, Jacob. Ils disaient que nous avions tout faux. Notre façon de prier, notre façon de vivre et de nous habiller, notre langue et notre culture : ils rejetaient tout en bloc. Leur but, c’était de nous « assimiler », ce qui revenait à nous anéantir ».

Ces mots sont durs à réceptionner mais assemblés bout à bout, ils composent le fil rouge de ce roman car ils expliquent tout. Y compris l’histoire de Kim. Cette jeune fille écorchée vive qui vit encore malgré elle et malgré tout. Kim fragile, avec cette mèche blanche dans les cheveux. Ce n’est pas un hasard. Kim solide, qui sauve les autres avant de sauver elle-même. Vous me direz qu’il n’existe pas vraiment de roman jeunesse, de roman tout court, de littérature en général sans histoire d’amour. Et vous avez complètement raison car l’amour est la clé. Et cette histoire d’amour… Elle n’est en rien facile mais qu’est-ce qu’elle est belle. On retient notre souffle avec nos amoureux qui ne savent pas aimer mais qui, ensemble, vont apprendre. C’est doux, brutal parfois, évident surtout.

C’est un roman sur la recherche de la vérité. Sur ce que des milliers d’autochtones ont vécu mais aussi sur l’histoire personnelle de Jacob. Ce fameux accident qui a fait basculer sa vie de petit garçon ne s’est sans doute pas déroulé de la manière dont il a toujours été narré.

Oui, c’est un récit sur la recherche de vérité. Sur une quête qui ne peut se faire sans douleur. Mais c’est sans doute cela qui fait toute la beauté de ce roman. Un peu comme un crush qui fait mal. Mais qui fait grandir. On en revient à Toufdepoil, je crois bien. On revient à ce qui est l’essence de la vie. Etre heureux, souffrir, souffrir pour être heureux. Tout ça. Ce gros bordel qui fait que l’existence n’est en rien linéaire. Est-ce que je suis la seule à être sur le qui-vive lorsque je suis heureuse ? J’ai pleinement donné en épreuves, souffrances et autres coups traitres, j’aimerais que ma quête soit achevée et que ma vie reste comme elle l’est à cet instant T. Simple, belle et terriblement joyeuse. J’ai encore et toujours des surprises qui s’invitent dans ma vie mais ce sont de très jolies surprises. Comme cette rencontre récente avec une amie qui fait désormais partie des personnes les plus importantes de ma vie. Alors, ma quête est-elle enfin achevée ?

J’aime ces romans qui font réfléchir, qui nous interpelle, nous interroge sur des pans existentiels de l’existence. Et j’aime le fait qu’il n’y ait pas forcément des réponses. Mais des signes. Enseignés par les Cree et percevables par tous si seulement nous voulons bien les percevoir.

J’aime les silences. Même les silences surnaturels. Et bien souvent, je cherche des signes qui seraient comme des ponts avec les personnes disparues et moi-même, un peu comme Jacob, ce loup et son grand-père. Ce récit m’a fait réaliser qu’ils se sont déjà pleinement manifestés. Car ma grand-mère est en moi, à jamais. A travers l’amour des livres et certaines habitudes que nous avons en commun, elle vit en moi à jamais.

Il est temps pour moi de vous dire au revoir et merci pour votre patience infinie. Et de vous conseiller de lire ce roman, de vous laisser bercer par les croyances et les valeurs Cree qui peut-être vous apporteront un éclairage nouveau sur votre vie. Ça vaut le coup d’essayer.

Merci à Croqu'Livre de m'avoir fait découvrir ce roman lors du dernier groupe lecture ado !
Romans pour ados

Amande / Won-Pyung Sohn / Pocket Jeunesse

Soudain, le vent a changé de trajectoire. Les cheveux de Dora ont flotté dans une autre direction. La brise a porté son odeur jusqu’à moi. Je n’avais jamais rien senti de pareil. Elle sentait les feuilles mortes, ou alors les premiers bourgeons du printemps. Le genre de parfum à évoquer des images contradictoires (…). J’ai poussé un cri de douleur. Ça piquait. Une grosse pierre venait de me tomber sur le cœur

L’amour, ça peut provoquer ce genre de chose. C’est vrai, ça peut être du genre grosse pierre qui vous tombe sur le cœur. Alors essayez juste d’imaginer le poids de cette grosse pierre qui tombe sur le cœur de Yunjae. Vous n’y parviendrez sans doute pas, tant le « cas » du héros de ce roman est incroyable, impensable. Yunjae a quinze ans et, depuis sa naissance, il ne ressent strictement rien. Ni la joie, ni la tristesse, ni la peur, ni tout autre sentiment. Sa mère et sa grand-mère, avec lesquelles il a grandi, ont tenté de lui apprendre des codes pour s’adapter à la société -sourire, imitation des autres, formules de politesse- mais malgré cela, il ne peut être comme tout le monde. Comment le pourrait-il ? Son amygdale cérébrale, son « amande » ne fonctionne pas bien. Il est physiquement incapable de ressentir. Même quand la tragédie bouleverse sa vie, il ne ressent rien. Rien du tout.

Alors, alors, c’est quoi cette citation d’introduction ? C’est qui cette Dora ? Ce cri de douleur, ce ne serait pas une émotion, par hasard ?

Et bien, c’est par un gros spoil que je débute cet avis de lecture. Mais on le devine en lisant le résumé de ce roman, Yunjae va faire quelques rencontres qui vont lui permettre de vivre, pas seulement de besoins vitaux comme boire, manger, avoir un abri sur sa tête. Non, de vivre pleinement avec tout ce que ça importe. Parce qu’on ne va pas se mentir, bien souvent on aimerait être insensible pour pouvoir rebondir sur les crasses que la vie nous envoie si mochement, parfois. Parole d’hypersensible. Qui pleure devant la pub Bouygues Télécoume version 2018 avec le fils qui danse avec son fils bébé en appelant son père qui lui aussi dansait avec son fils qui est maintenant père et en plus c’est Noël, oui oui. Qui rumine les conflits pendant 28h avant de formuler le problème, d’ailleurs j’en veux encore à mon amoureux de m’avoir laissée ranger le drive pour essayer de convaincre, sur le parking de notre village, un député d’un parti qu’on n’aime pas de devenir député d’un parti qu’on aime beaucoup plus et ça a duré 25 minutes et ça n’a rien donné, cette histoire est véridique, elle a eu lieu ce midi, je suis à H+3 de ma rumination. Qui a vécu tous ses chagrins d’amour et ses ruptures comme des pertes immenses, des fonds du gouffre, des six pieds sous terre, des poignards XXL dans le cœur. Cela pouvait aller d’un je-te-jette-le-pendentif-demi-coeur-que-tu-m-as-offert-à-la-tronche-et-je-m-en-vais-pleurer-dans-mon-lit-en-mangeant-un-pot-entier-de-hougen-doos-clichés-toujours, lorsque j’avais 14 ans, à je-ne-m-alimente-plus-et-je-ne-pèse-plus-que-44-kilos, je n’avais pas trente ans et je venais de divorcer. Depuis, j’ai appris à réguler mes émotions hein, mais je suis comme un volcan prêt à entrer en éruption. J’aurai pu m’appeler Juliane Pompéi. Bonjour, c’est moi !

Yunjae, lui, reste impassible même quand sa mère et sa grand-mère sont victimes d’une agression meurtrière. Là, je ne vous spoile rien parce que ce sont les premières phrases du tout premier chapitre (je ne vous parle pas du prologue qui est glaçant, impossible à oublier mais je ne voudrais pas vous traumatiser de suite) :

Voila la puissance du truc. Ce récit est fou. Il débute ainsi.

C’est clairement un roman pour grands ados et pour adultes parce que la violence, elle est bien là. L’assaut meurtrier est décrit tel que le vit Yunjae alias celui-qui-ne-ressent-rien, c’est hyper froid, neutre, les mots sont difficiles à recevoir pour nous, lecteurs. Lorsque le héros rencontre Gon, un garçon de son âge, rebelle, colérique et carrément violent, c’est le même procédé d’écriture qui s’applique. Il y a des descriptions nettes, cinglantes, qui disent tout de la violence sans qu’il n’y ait de nuance. J’avais un peu l’impression de revenir 20 ans en arrière et de lire la quasi intégralité des Rougon-Macquart dans le cadre d’un cours de littérature, à la fac de Mulhouse. Je vous le dis texto, j’ai adoré mais ce ne sont clairement pas des lectures funky que tu laisses avec plaisir le soir sur ta table de nuit pour les retrouver le lendemain. Non, ce sont des romans que tu planques bien, bien au fond de ton placard pour qu’ils ne viennent pas te hanter, ne sait-on jamais. Des lectures froides qui t’offrent des autopsies livresques. Sympa le concept, non ?

Il faut donc s’accrocher parce que certains passages de ce roman sont difficiles et crus. Cependant, ils s’expliquent. Ce n’est pas juste de la violence pour de la violence. Les épreuves vécues ont une véritable influence sur le cours de la vie des personnages. Et certains en reviennent, de cette violence. Notamment le fameux Gon (qui est loin d’avoir eu une enfance magique, son histoire est traumatisante d’ailleurs je ne lâcherai plus jamais la main de mon petit Oscar jusqu’à ce qu’il ait 18 ans) qui finira par se détacher de cette violence même s’il ne peut s’empêcher de la provoquer. Parce qu’au fond, Gon est comme tout être humain, il cherche ou recherche l’amour. Et ça peut être l’amour d’une mère dont il a été séparé. Et que Yunjae a connu quelques temps. Bon, je ne vais vous raconter le pourquoi du comment ici car l’histoire est pas mal improbable et qu’elle fait penser à un scenario d’un téléfilm de M6 de début d’après-midi et je n’aimerais vraiment pas que vous associez cette image glamouro-policiero-nimportnawak à ce roman. Retenez juste que Yunjae a rencontré la mère de Gon et que ce dernier ne l’a pas revue depuis ses cinq ans.

C’est fou parce que Yunjae décrit tout en tant que personne qui ne ressent rien mais nous, lecteurs, on ressent tout x2323232353565. C’est tout le talent de l’autrice et de la traductrice, Sandy Joosun Lee, qui a traduit « Amande » du coréen à l’anglais. J’ai beaucoup aimé le fait qu’elle s’exprime à la suite du roman. Cela fait réaliser que ce métier de l’ombre est un métier carrément difficile, encore plus quand les récits ont une particularité similaire à ce roman. Sandy Joosun Lee l’explique bien :

« Il me fallait choisir minutieusement les mots, afin de m’assurer que Yunjae et Gon existeraient pleinement, chacun à sa manière, en m’appuyant sur le contexte et la distance émotionnelle que l’on trouve dans le texte original (…). Ce qu’il fallait pour Yunjae, c’est un ton détaché, sans pour autant être fade (…). De plus, alors que la sensibilité de Yunjae se développe tout au long du récit, je voulais montrer son évolution à travers le langage, montrer comment la distance émotionnelle se réduit ».

Et elle conclut son texte par ceci :

« Pour Yunjae, l’amour n’est pas confiné dans une case car il n’y a aucune case par laquelle commencer. J’espère que les lecteurs du texte ressentiront le même flux d’émotions provenant de l’amande de Yunjae que moi ».

Oui oui et oui. Pari risqué mais pari gagné. J’ai rarement lu un livre aussi déstabilisant, qui malmène aussi, sans que l’on sache si c’est plutôt positif ou carrément malaisant. Je peux simplement dire que ça fait du bien d’être remuée, la littérature a ce pouvoir-là. Dans « Amande », la violence est omni-présente mais au même titre que l’amour. C’est sans doute ce duo antinomique mais intrinsèquement lié qui explicite ce sentiment étrange. Je peux pas vous exposer ici les passages violents qui, en dehors de leur contexte, n’auraient d’ailleurs pas de sens, mais je peux vous faire lire quelques mots qui narrent une scène tellement belle et qui me touche à un point… J’ai moi-même grandi dans une famille dans laquelle les membres qui m’ont apporté de l’amour et de la confiance ont été des femmes. Ma sœur, ma mère, ma grand-mère. Alors que l’amour ait, dans ce roman, l’image d’une si belle filiation, cela m’émeut grandement.

C’est trop joli, en plus, la représentation de l’amour en hanja

L’amour illumine ce roman. Et il est de toutes formes. Parfois il peut mener à la souffrance, à la violence, mais souvent, il est ce pour quoi les gens changent. Il est ce pour quoi les gens vivent heureux. Et il est ce qui subsiste même après la disparition de ces êtres aimés. Qu’est-ce que c’est beau lorsque Yunjae se souvient de sa maman et de sa grand-mère. Il n’est pas encore capable de ressentir des émotions mais possède déjà en lui l’essentiel : les souvenirs, magnifiés par les sens qui redonnent vie aux être perdus. Comme le souvenir d’une voix chantée semblable au bruit des vagues ou au vent qui souffle au loin. Ou la chaleur de mains aimantes :

« Je me souviens de ces journées où je me promenais avec Maman, et où elle me serrait la main. Elle ne me lâchait jamais. Quelquefois, elle m’agrippait si fermement que j’en avais mal. J’essayais de me libérer, mais d’un seul regard, elle m’en dissuadait. Mamie me tenait l’autre main. Je n’ai jamais été abandonné par qui que ce soit. Mon cerveau a beau être dans un mauvais état, mon âme, elle, est intacte, grâce à la chaleur de ces mains qui me tenaient de chaque côté ».

Bon voilà, ce livre ne ressemble à aucun autre et c’est une grande qualité. Il n’est peut-être pas littérairement parlant le plus abouti mais il a le don de nous faire réagir, réfléchir, ressentir, ce qui est l’essence-même de la lecture. Et joliment raccord avec le speech du récit. Si vous n’êtes pas encore tout à fait convaincu, c’est qu’il vous faut savoir que ce roman coréen est le « coup de coeur du groupe de K-pop BTS ». Ça, ça me fait joliment sourire. C’est mignon. Il faudra désormais ajouter à cette accroche marketing : « ce roman coréen est le coup de coeur de Juliane_lit ». Yep !

Coups de cœur, Romans pour ados

Annie au milieu / Émilie Chazerand / Sarbacane

Quand j’ai lu le résumé de ce roman, lors d’une énième visite en librairie, mon cœur a vrillé. Direct. J’ai aussitôt repensé à l’un de mes films préférés, petit bijou cinématographique, sorti en 2006. Seize ans, déjà ! Little Miss Sunshine. Je ne sais pas si vous l’avez déjà vu mais il faut le voir pour tout un tas de raisons. Surtout parce qu’il est barjo mais beau parce qu’il est barjo. Et magnifiquement inoubliable parce qu’il est beau parce qu’il est barjo.

Olive n’a même pas huit ans et sait déjà ce qu’elle veut. Elle a un rêve, celui d’être mini Miss. Oui, là vous êtes certainement en train de vous écrier « au secours » mais non, non, vous avez tort. Car ce n’est pas un film dégoulinant de paillettes et de malaise absolu, combo complètement probable dans l’univers des mini miss aux Etats-Unis, mais un road-trip incroyable, porté, mené par les membres d’une famille complètement à la dérive et complètement dingues, chacun à leur façon. Olive et son rêve se tiennent là, rayonnants de joie et d’innocence au milieu d’eux et de toute cette situation foutraque. C’est Olive qui les relie tous et leur offre un fil rouge vital. Pffffiiiiiouwaouh (c’est l’onomatopée d’un soupir d’admiration ça, non ?) KO total.

J’adore cette accroche « Everyone pretend to be normal » qui est bien mieux que celle en français qui est « une famille au bord de la crise de nerfs ». Cette phrase colle merveilleusement au roman d’Emilie Chazerand. Tout le monde fait semblant d’être normal (et moi j’ai un bac +12 en traduction). Et qu’est-ce que c’est, d’ailleurs, la normalité ?

Le roman « Annie au milieu » d’Émilie Chazerand me fait penser à ce film parce que j’y ai retrouvé les mêmes singularités qui font ressentir les mêmes choses. De manière puissante et presque violente. Dans le film, on retrouve cette folie déterminante, un portrait identique d’une famille à la dérive au sein de laquelle chacun doit trouver sa place, des interrogations semblables sur la norme, sur la normalité et logiquement donc, sur l’exclusion. Ces deux œuvres possèdent cet optimisme, cette joie incroyable qui accompagne votre lecture/votre visionnage pour finalement vous laisser coi, ce signifie -de manière plus limpide- que mon visage n’était que bouche bée et larmes torrentielles. J’ai refermé le livre, j’ai lu le générique de fin de film, j’étais incroyablement moche mais heureuse avec, vous pouvez aisément l’imaginer, mon visage inondé de mascara dégoulinant et de bave dégoulinante. Bref, j’étais ignoble mais je remerciais la vie toute entière.

La couverture n’est pas jaune comme l’affiche de Little Miss Sunshine mais l’ensoleillement est pourtant bien présent. Annie est au milieu et elle rayonne. « Elle irradie ».

« Velma et Harold sont le frère et la soeur d’Annie. Annie est « différente » . C’est comme ça que les gens polis disent. Elle a un chromosome en plus. Et de la gentillesse, de la fantaisie, de l’amour en plus, aussi. Elle a un travail, des amis et une passion : les majorettes. Et Annie est très heureuse parce que, pour la première fois, sa troupe aura l’honneur de défiler lors de la fête du printemps de la ville.
Mais voilà, l’entraîneuse ne veut pas d’elle pour cet événement : elle n’est pas au niveau, elle est dodue… Bref : elle est « différente » . C’est bête et méchant. Ca mord Annie et les siens, presque plus. Alors, qu’à cela ne tienne : Annie défilera, avec son équipe brinquebalante, un peu nulle mais flamboyante. Ses majorettes un peu barjo. Ses barjorettes, quoi
« 

Annie est différente, c’est comme ça que les gens polis disent…

La différence. C’est le grand thème de ce roman. La différence et surtout la manière dont est perçue cette différence.

Parlons de la trisomie, tout d’abord. Naturellement, il y a une floppée de personnes intelligentes et sensées qui perçoivent Annie comme tout être humain devrait être considéré : avec bienveillance. Mais il existe encore des gens qui sont juste abjects. Sans même le cacher, comme ces clients du Little Asia Mini Market, dans lequel Annie travaille, qui la traitent de « mongolita » et qui lui font des allusions sexuelles à gerber. Ou plus insidieusement, comme l’entraineuse de l’équipe de majorettes qui refuse qu’Annie défile avec la troupe, lors de la fête du printemps. Et ça, ça donne juste envie de tout casser et si ça doit être la gueule du gars qui dit ou de la meuf qui fait, alors tant pis. J’aime tellement la réaction de la maman d’Annie après coup, lorsqu’Elodie, l’entraîneuse de l’équipe de majorettes, annonce son infâme décision. C’est narré par la jeune fille elle-même :

Oh mon dieu, que ça soulage de dire ça. Et de le lire.

Annie. Elle est belle, lumineuse, innocente. Elle ne sera jamais aussi bien décrite que par son grand-frère Harold et sa petite soeur Velma, qui l’aiment infiniment. Les trois enfants de la fratrie prennent tour à tour possession de la narration et rendent le récit vivant et criant de sincérité. Cela peut être également extrêmement douloureux. Car la naissance d’une enfant trisomique, c’est un bouleversement. Avec un impact sur chaque membre de la famille. Sur la famille toute entière. Il y est difficile pour Harold et Velma de trouver leur place et de se sentir aimés pour ce qu’ils sont eux, et non parce qu’ils ne sont pas Annie. Il est difficile pour la mère de ne pas vivre cette vie rêvée d’architecte épanouie alors qu’elle doit enchaîner les rendez-vous et vivre sa vie telle une Sainte sacrificielle, au détriment des besoins des autres, de ses besoins à elle. Difficile de ne pas se sentir coupable, de ne pas se dire « avec les enfants, j’ai tout raté. Je les ai gâchés ». Il est difficile pour le père d’arrêter de se cacher derrière l’humour ou de rester toujours détaché, quitte à faire penser qu’il ne sait plus aimer. Avoir un enfant trisomique, c’est un bouleversement. Ce serait si facile si chacun pouvait aisément se l’approprier, ce bouleversement. Mais on le sait, rien n’est acquis car rien n’est linéaire et prévisible. Dans toutes les familles, c’est ainsi. C’est plus long et douloureux pour certaines. Seulement, si l’amour est présent, même s’il est enfoui, il renaîtra. Et dans ce roman, il renaît. Et quelle renaissance. Simple. Basique. Basique. Simple. Comme dans la chanson d’Orelsan qu’ils choisissent pour leur représentation de « barjorettes ». Simple. Basique. Basique. Simple. Et remarquablement bordélique ! Mais c’est beau, le joyeux bordel, non ?

Harold et Velma sont également différents et souffrent de cette différence. Harold, c’est un jeune adulte doté d’une grande sensibilité mais qui la freine, volontairement ou inconsciemment, on ne sait pas trop mais on devine. Il a choisi de stopper ses études sans le dire à sa famille, ce qui entraîne quelques complications jusqu’au drame que l’on sait inévitable. De plus, il est homosexuel. Et s’il y aujourd’hui une tolérance bien plus grande par rapport à l’homosexualité -il était grand temps, bordel- il est toujours difficile de l’avouer à ses proches, surtout quand on a une famille à l’équilibre plus que précaire. Voilà pourquoi Harold n’ose pas avouer que Camille est Camille. Et pas Camille. Il n’y a qu’Annie qui sait. C’est sans doute la plus perspicace, la plus intelligente, n’en déplaise à ce gros connard de psy qui l’a diagnostiquée avec un QI de 52 et rien d’autre. « Faites le deuil de ce qu’elle ne sera jamais ». On a le droit de l’insulter, lui aussi et de lui souhaiter une gangrène des testicules ? Bref, Annie sait mais les autres ne voient pas ou ne veulent pas voir. Harold devra prendre du recul, s’éloigner quelques temps pour réfléchir à cette différence qui le constitue et qui reste à montrer au reste du monde. Et à sa place qu’il doit considérer. Ce n’est en rien plaisant. « J’en ai les larmes aux yeux, tout à coup. Je suis fatigué. Parce que c’est fatiguant, d’essayer. Toutes les heures. Et d’échouer, toutes les heures ».

Velma se sent différente, elle aussi. Elle a ce statut complexe de cadette et de celle qui arrive après. Après Annie. Toute la lecture durant, nous sentons ce poids qui la heurte, elle qui ne se sent pas légitime d’être née. C’est terrible de dire cela. C’est cependant ce qu’elle arrive enfin à exprimer à sa mère. C’est vital. Elle doit poser la question. Sinon, elle meurt, elle se meurt. « Pourquoi tu m’as faite ? » On ne peut pas s’établir en psy de pacotille et se demander si c’est à cause de cette culpabilité d’exister qu’elle ressent le monde avec une telle hypersensiblité mais on ne peut s’empêcher de se dire que cela fait d’elle une personne clairvoyante, dans le sens où elle voit la vie comme elle est. Parfois elle est moche et douloureuse, parfois elle est belle jusque dans ses moindres détails.

Oui, Velma fait des listes. Toutes aussi belles et vraies les unes que les autres. Et moi je fais des photos floues en fin de journée sur mon canapé à côté d’un petit garçon scotché à mon bras qui me fait trembler et qui rigole, en plus. Je le mets sur « ma liste des choses que j’aimerais éviter mais je ne peux pas parce qu’on ne rejette jamais un petit garçon choupinet scotché à son bras ».

Tous les personnages ont leur importance, leur sensibilité, leur manière de voir le monde et de cohabiter avec lui. Tous sont merveilleux. La grand-mère un peu foldingue mais fragile, la tante-dont-tout-le-monde-a-besoin, Hui évidemment, Camille qui bouscule parce qu’il faut, les poules confidentes, maman Zhou qui réalise des maillots de compétition comme un feu d’artifice avec des cristaux facettes blancs et des capes en plumes d’autruche roses. Tous ces personnages gravitent autour d’Annie et Annie est au milieu, elle fait office de soleil. C’est le « sentiment océanique » de Romain Rolland. Velma la décrit très bien, « cette impression soudaine de ne faire qu’un. De faire corps. Cœur commun. Avec l’univers tout entier ». Nous lecteurs, nous faisons partie de cet univers tout entier. Avec cette impression magnifique. Ce sentiment océanique. Qui nous fait nous sentir joyeux, libérés, vivants.

Alors, la fameuse différence dans tout ça ? Elle rend les gens meilleurs, plus sincères, aussi. Elle n’est pas faite pour éloigner les gens les uns des autres mais bel et bien pour les relier. Et pour leur permettre de trouver LA place, enfin, qu’importe si c’est celle d’une planète naine qui n’existe plus. C’est la place parfaite. Celle qui convient.

L'avis en vrac !

Bande de poètes / Alexandre Chardin / Casterman

Écrire en alexandrins, c’est clairement zinzin.

Battre la mesure douze fois, sans flancher !

Mais quand on aime, il paraît qu’on n’compte pas, hein ?

Je n’suis pas douée, mais je suis sincère, okay

J’ai envie que vous imaginiez la façon,

la façon dont j’prononce Alexandre Chardin.

C’est un joli tohu-bohu d’exclamations,

qui prouve à quel point j’aime tant cet écrivain

Il sait rêver comme on devrait le faire encore.

Tous ses récits parlent si bien de cette vie

qui souvent nous malmène par des faits retors,

mais qui cache maintes réalités bénies

Bande de poètes, ce roman écrit en vers,

narre les aventures de jeunes ordinaires

qui n’peuvent à priori pas être des amis,

leurs origines les condamnent à être ennemis.

Le fils du maire, les jeunes défavorisés

sont sensés se détester d’emblée, c’est vrai, non ?

Non. L’auteur nous l’fait bien comprendre heureusement.

Qu’importe ce qu’en pensent les gens, les parents.

Pour abolir toutes ces barrières non visibles,

pourtant si réelles – certainement indicibles-

l’auteur a pensé à de merveilleux fils rouges.

De l’amour, oui ! Et d’la musique, faut qu’ça bouge.

Même les clichés autour de la musique dégagent.

Pour notre plus grand plaisir, fini cet outrage !

La trompette oh oui c’est un bien bel instrument

qui peut s’marier avec le flow, évidemment.

Quant à la violence, elle n’est pas occultée.

Les mots douloureux et ceux qui font déguerpir

sont libérés, sont criés et sont dénoncés.

Trouver refuge, pour enfin réapprendre à vivre.

Fil rouge, n’oublie pas les pouvoirs de l’amitié !

Ce chouette roman est en empli, c’est un fait.

On l’referme en riant, vous n’avez pas idée…

Y a d’la joie, comme dans cette chanson de Trenet.

Alexandre Chardin est un magicien, non ?

Même qu’il met des nœuds papillon, c’est un signe !

Il écrit les mots justes et ceux qu’on imagine,

qu’on n’ose parfois pas clamer, parce que bon…

Il est temps de changer et d’oser, haut et fort

On s’en fiche et on s’en fout et on s’en balance

Des préjugés, des toutlmondedit, des convenances

Lisez c’récit, vous comprendrez, gentils cadors !