Romans pour ados

Amande / Won-Pyung Sohn / Pocket Jeunesse

Soudain, le vent a changé de trajectoire. Les cheveux de Dora ont flotté dans une autre direction. La brise a porté son odeur jusqu’à moi. Je n’avais jamais rien senti de pareil. Elle sentait les feuilles mortes, ou alors les premiers bourgeons du printemps. Le genre de parfum à évoquer des images contradictoires (…). J’ai poussé un cri de douleur. Ça piquait. Une grosse pierre venait de me tomber sur le cœur

L’amour, ça peut provoquer ce genre de chose. C’est vrai, ça peut être du genre grosse pierre qui vous tombe sur le cœur. Alors essayez juste d’imaginer le poids de cette grosse pierre qui tombe sur le cœur de Yunjae. Vous n’y parviendrez sans doute pas, tant le « cas » du héros de ce roman est incroyable, impensable. Yunjae a quinze ans et, depuis sa naissance, il ne ressent strictement rien. Ni la joie, ni la tristesse, ni la peur, ni tout autre sentiment. Sa mère et sa grand-mère, avec lesquelles il a grandi, ont tenté de lui apprendre des codes pour s’adapter à la société -sourire, imitation des autres, formules de politesse- mais malgré cela, il ne peut être comme tout le monde. Comment le pourrait-il ? Son amygdale cérébrale, son « amande » ne fonctionne pas bien. Il est physiquement incapable de ressentir. Même quand la tragédie bouleverse sa vie, il ne ressent rien. Rien du tout.

Alors, alors, c’est quoi cette citation d’introduction ? C’est qui cette Dora ? Ce cri de douleur, ce ne serait pas une émotion, par hasard ?

Et bien, c’est par un gros spoil que je débute cet avis de lecture. Mais on le devine en lisant le résumé de ce roman, Yunjae va faire quelques rencontres qui vont lui permettre de vivre, pas seulement de besoins vitaux comme boire, manger, avoir un abri sur sa tête. Non, de vivre pleinement avec tout ce que ça importe. Parce qu’on ne va pas se mentir, bien souvent on aimerait être insensible pour pouvoir rebondir sur les crasses que la vie nous envoie si mochement, parfois. Parole d’hypersensible. Qui pleure devant la pub Bouygues Télécoume version 2018 avec le fils qui danse avec son fils bébé en appelant son père qui lui aussi dansait avec son fils qui est maintenant père et en plus c’est Noël, oui oui. Qui rumine les conflits pendant 28h avant de formuler le problème, d’ailleurs j’en veux encore à mon amoureux de m’avoir laissée ranger le drive pour essayer de convaincre, sur le parking de notre village, un député d’un parti qu’on n’aime pas de devenir député d’un parti qu’on aime beaucoup plus et ça a duré 25 minutes et ça n’a rien donné, cette histoire est véridique, elle a eu lieu ce midi, je suis à H+3 de ma rumination. Qui a vécu tous ses chagrins d’amour et ses ruptures comme des pertes immenses, des fonds du gouffre, des six pieds sous terre, des poignards XXL dans le cœur. Cela pouvait aller d’un je-te-jette-le-pendentif-demi-coeur-que-tu-m-as-offert-à-la-tronche-et-je-m-en-vais-pleurer-dans-mon-lit-en-mangeant-un-pot-entier-de-hougen-doos-clichés-toujours, lorsque j’avais 14 ans, à je-ne-m-alimente-plus-et-je-ne-pèse-plus-que-44-kilos, je n’avais pas trente ans et je venais de divorcer. Depuis, j’ai appris à réguler mes émotions hein, mais je suis comme un volcan prêt à entrer en éruption. J’aurai pu m’appeler Juliane Pompéi. Bonjour, c’est moi !

Yunjae, lui, reste impassible même quand sa mère et sa grand-mère sont victimes d’une agression meurtrière. Là, je ne vous spoile rien parce que ce sont les premières phrases du tout premier chapitre (je ne vous parle pas du prologue qui est glaçant, impossible à oublier mais je ne voudrais pas vous traumatiser de suite) :

Voila la puissance du truc. Ce récit est fou. Il débute ainsi.

C’est clairement un roman pour grands ados et pour adultes parce que la violence, elle est bien là. L’assaut meurtrier est décrit tel que le vit Yunjae alias celui-qui-ne-ressent-rien, c’est hyper froid, neutre, les mots sont difficiles à recevoir pour nous, lecteurs. Lorsque le héros rencontre Gon, un garçon de son âge, rebelle, colérique et carrément violent, c’est le même procédé d’écriture qui s’applique. Il y a des descriptions nettes, cinglantes, qui disent tout de la violence sans qu’il n’y ait de nuance. J’avais un peu l’impression de revenir 20 ans en arrière et de lire la quasi intégralité des Rougon-Macquart dans le cadre d’un cours de littérature, à la fac de Mulhouse. Je vous le dis texto, j’ai adoré mais ce ne sont clairement pas des lectures funky que tu laisses avec plaisir le soir sur ta table de nuit pour les retrouver le lendemain. Non, ce sont des romans que tu planques bien, bien au fond de ton placard pour qu’ils ne viennent pas te hanter, ne sait-on jamais. Des lectures froides qui t’offrent des autopsies livresques. Sympa le concept, non ?

Il faut donc s’accrocher parce que certains passages de ce roman sont difficiles et crus. Cependant, ils s’expliquent. Ce n’est pas juste de la violence pour de la violence. Les épreuves vécues ont une véritable influence sur le cours de la vie des personnages. Et certains en reviennent, de cette violence. Notamment le fameux Gon (qui est loin d’avoir eu une enfance magique, son histoire est traumatisante d’ailleurs je ne lâcherai plus jamais la main de mon petit Oscar jusqu’à ce qu’il ait 18 ans) qui finira par se détacher de cette violence même s’il ne peut s’empêcher de la provoquer. Parce qu’au fond, Gon est comme tout être humain, il cherche ou recherche l’amour. Et ça peut être l’amour d’une mère dont il a été séparé. Et que Yunjae a connu quelques temps. Bon, je ne vais vous raconter le pourquoi du comment ici car l’histoire est pas mal improbable et qu’elle fait penser à un scenario d’un téléfilm de M6 de début d’après-midi et je n’aimerais vraiment pas que vous associez cette image glamouro-policiero-nimportnawak à ce roman. Retenez juste que Yunjae a rencontré la mère de Gon et que ce dernier ne l’a pas revue depuis ses cinq ans.

C’est fou parce que Yunjae décrit tout en tant que personne qui ne ressent rien mais nous, lecteurs, on ressent tout x2323232353565. C’est tout le talent de l’autrice et de la traductrice, Sandy Joosun Lee, qui a traduit « Amande » du coréen à l’anglais. J’ai beaucoup aimé le fait qu’elle s’exprime à la suite du roman. Cela fait réaliser que ce métier de l’ombre est un métier carrément difficile, encore plus quand les récits ont une particularité similaire à ce roman. Sandy Joosun Lee l’explique bien :

« Il me fallait choisir minutieusement les mots, afin de m’assurer que Yunjae et Gon existeraient pleinement, chacun à sa manière, en m’appuyant sur le contexte et la distance émotionnelle que l’on trouve dans le texte original (…). Ce qu’il fallait pour Yunjae, c’est un ton détaché, sans pour autant être fade (…). De plus, alors que la sensibilité de Yunjae se développe tout au long du récit, je voulais montrer son évolution à travers le langage, montrer comment la distance émotionnelle se réduit ».

Et elle conclut son texte par ceci :

« Pour Yunjae, l’amour n’est pas confiné dans une case car il n’y a aucune case par laquelle commencer. J’espère que les lecteurs du texte ressentiront le même flux d’émotions provenant de l’amande de Yunjae que moi ».

Oui oui et oui. Pari risqué mais pari gagné. J’ai rarement lu un livre aussi déstabilisant, qui malmène aussi, sans que l’on sache si c’est plutôt positif ou carrément malaisant. Je peux simplement dire que ça fait du bien d’être remuée, la littérature a ce pouvoir-là. Dans « Amande », la violence est omni-présente mais au même titre que l’amour. C’est sans doute ce duo antinomique mais intrinsèquement lié qui explicite ce sentiment étrange. Je peux pas vous exposer ici les passages violents qui, en dehors de leur contexte, n’auraient d’ailleurs pas de sens, mais je peux vous faire lire quelques mots qui narrent une scène tellement belle et qui me touche à un point… J’ai moi-même grandi dans une famille dans laquelle les membres qui m’ont apporté de l’amour et de la confiance ont été des femmes. Ma sœur, ma mère, ma grand-mère. Alors que l’amour ait, dans ce roman, l’image d’une si belle filiation, cela m’émeut grandement.

C’est trop joli, en plus, la représentation de l’amour en hanja

L’amour illumine ce roman. Et il est de toutes formes. Parfois il peut mener à la souffrance, à la violence, mais souvent, il est ce pour quoi les gens changent. Il est ce pour quoi les gens vivent heureux. Et il est ce qui subsiste même après la disparition de ces êtres aimés. Qu’est-ce que c’est beau lorsque Yunjae se souvient de sa maman et de sa grand-mère. Il n’est pas encore capable de ressentir des émotions mais possède déjà en lui l’essentiel : les souvenirs, magnifiés par les sens qui redonnent vie aux être perdus. Comme le souvenir d’une voix chantée semblable au bruit des vagues ou au vent qui souffle au loin. Ou la chaleur de mains aimantes :

« Je me souviens de ces journées où je me promenais avec Maman, et où elle me serrait la main. Elle ne me lâchait jamais. Quelquefois, elle m’agrippait si fermement que j’en avais mal. J’essayais de me libérer, mais d’un seul regard, elle m’en dissuadait. Mamie me tenait l’autre main. Je n’ai jamais été abandonné par qui que ce soit. Mon cerveau a beau être dans un mauvais état, mon âme, elle, est intacte, grâce à la chaleur de ces mains qui me tenaient de chaque côté ».

Bon voilà, ce livre ne ressemble à aucun autre et c’est une grande qualité. Il n’est peut-être pas littérairement parlant le plus abouti mais il a le don de nous faire réagir, réfléchir, ressentir, ce qui est l’essence-même de la lecture. Et joliment raccord avec le speech du récit. Si vous n’êtes pas encore tout à fait convaincu, c’est qu’il vous faut savoir que ce roman coréen est le « coup de coeur du groupe de K-pop BTS ». Ça, ça me fait joliment sourire. C’est mignon. Il faudra désormais ajouter à cette accroche marketing : « ce roman coréen est le coup de coeur de Juliane_lit ». Yep !

L'avis en vrac !

Les règles, ce tabou, on en viendra tous à bout !

Si toi aussi tu chantes ce titre comme si tu étais Régis Laspalès dans « le pari », tape dans ma main (virtuellement)

Mais n’empêche, c’est vrai, non ? Les règles, c’est -encore- tabou.

Un tabou, d’après notre cher dictionnaire Le Robert, c’est « ce sur quoi on fait silence, par crainte, par pudeur ». On pourrait rajouter « Pour des raisons de croyance, de religion, de vie ou de mort » (« Les règles… quelle aventure! » Elise Thiébaud, Mirion Maille, La ville qui brûle). De vie ou de mort. Carrément. Mais on a peur de quoi, au juste ? D’un phénomène physique naturel qui concerne des millions de femmes dans le monde ? Ben oui. Le monde ne tourne pas rond ou quoi ? Je ne vous apprends rien.

Comme toujours, la littérature jeunesse s’empare de sujets qui ne sont à priori pas les plus évidents à traiter (pour eux) ni à réceptionner (pour nous). Mais elle nous offre des petites pépites de lecture. Ce genre de lecture qui te divertit mais qui, en plus, te fait sacrément réfléchir.

J’ai envie de vous présenter trois ouvrages aujourd’hui. Trois ouvrages qui explicitent les règles. Je vais le faire vite mais bien car ici, vous êtes dans la nouvelle catégorie « l’avis en vrac » du blog. Je suis sensée écrire un article court et percutant. J’ai la pression car j’ai une très légère tendance à m’égarer… sur de longues longues longues pages. On va voir si je m’en sors bien, pour une première.

Vous êtes prêts ? C’est parti !

Les règles de l’amitié / Lily Williams, Karen Schneeman / Jungle

Cette bande dessinée est traduite de l’américain. Mais ce qu’il se passe dans ce lycée? Cela pourrait arriver n’importe où. Une jeune fille, nouvellement arrivée dans cet établissement lambda des Etats-Unis, est moquée puis harcelée car son pantalon a été tâché par le sang de ses menstruations. Trois autres adolescentes vont lui venir en aide. Ce sera le point de départ pour mener une révolution -à leur magnifique façon- dans cet établissement plus prompt à financer les tenues des sportifs que des distributeurs de protections hygiéniques dignes de ce nom. Le football avant la santé ? Ça se discute, éventuellement. Nier un besoin vital ? Ça non, ça ce n’est pas possible.

Cette bande dessinée aborde le sujet des règles de manière feel-good grâce à ce touchant quatuor d’adolescentes. Elles sont géniales, vraiment. Toutes différentes. Toutes semblables à nous, aussi. Elles cheminent distinctement sur leur petit bout de chemin de leur petite vie mais ensemble, elles le font grandement bien. Le pouvoir de la sororité.

Il y a maintes réflexions autour des règles dans ce livre. L’une des jeunes filles tient un blog, elle y narre leur histoire depuis quasiment la nuit des temps, les préoccupations qui peuvent en découler, également. Comme l’endométriose, par exemple, car oui, l’une des jeunes filles en souffre et comme beaucoup de personnes atteintes, elle est seule avec sa souffrance. Jusqu’à ce que…

Ces adolescentes nous donnent une sacrée leçon ; il ne faut pas se contenter d’un truc nul et injuste juste parce que truc nul et injuste a été décidé par une instance à priori supérieure. Il faut lutter. Et si cela doit passer par quelques complications et imprévus, qu’à cela ne tienne, l’amitié, avec son évidence, les fera passer avec davantage de douceur.

Les règles… quelle aventure ! Elise Thiébaut et Marion Maille / La ville qui brûle

Quand une journaliste féministe rencontre une autrice et dessinatrice féministe ainsi qu’une maison d’édition génialement engagée, il en résulte un livre indispensable. Pour toutes ET tous !

« Les règles, quelle aventure » c’est un documentaire que vous n’avez jamais pu découvrir auparavant car il n’existait pas, tout simplement. Et il manquait. Avec un peu d’humour et de la pédagogie -pas celle qui est didactique, là, qui dit que c’est comme ça et pas comme ça, et que- il accompagnera toutes les adolescentes qui ont pléthore d’interrogations, souvent sans réponse. Cela parait évident ? Pourtant, un accompagnement bienveillant, ce n’était pas gagné, hein.

« Les règles ont longtemps été un instrument qui a permis d’opprimer les femmes et de leur donner l’impression qu’elles étaient impures et capables de moins de choses que les hommes. »

Ce livre documentaire est drôlement intelligent. Il permettra aussi à TOUS -je le redis fortement ici mais c’est si important- de comprendre les enjeux sociétaux et culturels induit par les règles. Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup à saisir et beaucoup, beaucoup, beaucoup à déconstruire.

C’est beau, le rouge / Lucia Zamolo, Rita Lamontagne / La Martinière Jeunesse

Ce livre, ô que je l’aime. Encore un objet-atypique-non-identifié-mais-tellement-inspiré-subtil-géniallissime. C’est un livre documentaire. A moins que ce ne soit un roman graphique ? C’est surtout un beau récit. Un récit qui est comme un cadeau que l’autrice nous offre tant on sent que la sensibilité qui en transparaît est sincère et a été vécue. Tout est parfaitement décrit et magnifiquement illustré. Ou comment mettre -enfin- des mots et des dessins sur toutes ces émotions ressenties avant, pendant et après les règles. On peut même les apprivoiser ces émotions qui nous caractérisent mais qui peuvent agacer voire heurter certains. T’es de mauvaise humeur, tu vas encore avoir tes règles ou quoi ? Merci de ta compréhension, sincères salutations. Ben non, va prestement te faire cuire un p’tit œuf toi qui dit ça. Tu n’as rien compris, en fait ? Et bien prends ce livre en main et ne fais pas que t’en étonner. Lis-le. Tu verras, il génial.

Albums, Pensées livresques

Littérature + cinéma + musique ? Une équation parfaite !

Aller au cinéma avec lui

Vous le savez, que je m’émerveille pour rien. Et tout. Que je suis ce genre de personne qui pleure facilement (mais qui n’a plus honte de ça, c’est mon pouvoir magique, maintenant). Et bien ce matin, j’ai récidivé. J’ai pleuré. Tout doucement. Personne ne m’a vue car nous étions, Oscar et moi, blottis dans la presque-obscurité du théâtre de l’Espace, à Besançon. On parle souvent d’étoiles dans les yeux. Ça fait sourire mais il y en avait véritablement des milliers qui entouraient mon petit garçon ce matin. Et qui illuminaient son âme d’enfant.

Pour tout vous dire, j’ai cette image dans ma tête parce qu’elle me fait penser à un album que j’ai récemment emprunté à la médiathèque.

Bleu, Britta Teckentrup, La Martinière Jeunesse

Dans cet album, Bleu vit au coeur de la forêt. Il a oublié depuis longtemps comment voler, jouer et chanter. Mais un jour, Jaune arrive. Et petit à petit, tout change…

Tout change parce qu’au passage de Jaune, tout s’illumine. Et c’est exactement ce dont Bleu a besoin. De sa lumière. Et de son chant mélodieux, aussi.

Le troisième jour, Bleu releva doucement la tête

C’est cette image que je superpose, dans ma tête, à celle d’Oscar qui souriait ce matin lorsque les lumières se sont éteintes. Damien, Élise et Agathe, les musiciens, ont joué des compositions qui s’accordaient parfaitement à l’image qui apparaissait sur l’écran. Et à Oscar qui souriait. Si joliment. Si naturellement. C’est comme s’il y avait cette traînée de poudre lumineuse qui virevoltait autour de lui et qui rendait ce moment évident.

Les courts-métrages proposés étaient adaptés aux plus petits spectateurs. Oscar et ses trois ans étaient donc tout à fait à leur place, au théâtre de l’Espace ! Nous sommes allés voir « Le Petit Monde de Leo ».

Capture du site des 2 scènes à Besançon

Vous connaissez peut-être l’univers de Leo Lionni ? C’était un auteur-illustrateur italien (naturalisé américain) et il est très connu en littérature jeunesse. L’album « Petit Bleu et Petit Jaune » est souvent utilisé en pédagogie pour l’apprentissage des couleurs. C’était son tout premier livre. Il a été publié en 1959. Le monde de Leo Lionni est simple. Il est fait de collages, il n’y pas fioritures tout autour. Cependant, avec peu il arrive à retranscrire une évidente poésie. Dans l’album « Fréderic » réside toute la quintessence de son univers. C’est le récit d’un mulot qui, au lieu de faire des provisions de maïs, s’occupe de faire des provisions de soleil, de couleurs et de mots.

Frédéric, Léo Lionni, l’École des Loisirs, 1975

Cette histoire fait partie de celles qui ont été animées par Giulio Gianni et proposées ce matin dans le programme de courts-métrages du théâtre de l’Espace. C’était très réussi. Et rendu plus beau et poétique encore par la musique jouée par un trio de musiciens composé de Damien Groleau, Élise Kali et Agathe Lorca. Elle s’accordait parfaitement avec l’ambiance colorée, fantaisiste et douce de l’auteur-illustrateur italien. Cette musique savait également changer de couleur et s’adapter aux passages aux aspects plus dramatiques. Quand j’ai demandé à Oscar de me dire quel était son court-métrage préféré, il a de suite évoqué celui avec le gros poisson noir méchant. Je crois que la musique a beaucoup fait pour rendre justement hommage au côté bad-fish du personnage. Au passage, ça me fait réaliser que les enfants aiment bien se faire peur (et moi j’en profite car j’ai souvent le droit à un rapprochement tête contre épaule). Par ailleurs, j’ai personnellement adoré le passage disco night fever dans l’océan. Même salle, plusieurs ambiances, deux préférences !

Les ciné-concerts apportent énormément. Et évidemment, c’est tant enrichissant d’écouter le son des instruments « en direct », de voir les musiciens à l’action, de découvrir que la musique, ce sont des personnes qui la créent. Pédagogiquement parlant, il y a tant à faire avec la musique. Les enfants le perçoivent très bien. Je ne vous cache pas qu’en rentrant à la maison, j’ai été sommée de trouver fissa une paille dans le tiroir à bazar de la cuisine, pour pouvoir faire le poisson « comme la dame elle a montré » à la fin du ciné-concert. C’est un exemple mais cela démontre qu’au delà de la réception pure et simple de la musique, il y a création et parfois même expérimentation. Oui, vraiment, les ciné-concerts apportent beaucoup et je suis toujours émue de constater à quel point la musique, en live notamment, livre des émotions si riches et diverses. J’ai été heureuse de ressentir ça, ce matin.

À la toute fin du programme, nous avons également pu découvrir un court-métrage inspiré de l’album « La Lune sous la mer – Lalin anva lanmé » d’Isabelle Cadoré et Élodie Dusseaux, aux éditions L’Harmattan. Avec toujours la musique du trio mais aussi l’histoire narrée en fond, en français et en créole. C’était un agréable moment, dans la lignée des fables poétiques de Leo Lionni. C’était chouette de s’imprégner de la douce sonorité créole mélangée à la langue que nous, nous pratiquons tous les jours. Parfait accord. Il y a aussi eu quelques frayeurs, du côté d’Oscar. Il est où le soleil ? demandait-il paniqué tandis que la lune découvrait le monde marin. Il faut dire qu’elle était tant occupée qu’elle en a quelque peu oublié le soleil. Ce conte m’a touchée, profondément, personnellement. Il m’a rappelé la chanson de Charles Trenet qu’on chantait si souvent avec ma grand-mère.

Le soleil a rendez-vous avec la lune
Mais la lune n’est pas là et le soleil attend
Ici-bas, souvent chacun pour sa chacune
Chacun doit en faire autant
La lune est là, la lune est là
La lune est là, mais le soleil ne la voit pas
Pour la trouver, il faut la nuit
Il faut la nuit mais le soleil ne le sait pas et toujours luit
Le soleil a rendez-vous avec la lune
Mais la lune n’est pas là et le soleil attend
Papa dit qu’il a vu ça lui

C’est fou comme la vie est faite de petits instants qui s’accordent et qui vous ramènent à ce qu’il y a de plus beau.

Cet article pour vous dire, mais vous l’aurez compris, que les livres et le cinéma peuvent très bien aller ensemble. Ils peuvent même se sublimer. Si, en plus, vous ajoutez une musique en symbiose avec les émotions et l’innocence d’un enfant, alors vous pouvez faire comme moi et pleurer. Parce que vous vivez un beau moment, un moment parfait.

Petite Eleanor/Raiponce qui danse, devant un écran de cinéma, en 2014. Le temps passe mais le cinéma a toujours le pouvoir de procurer des émotions et d’insuffler un certain vent de liberté. Ce matin. Il y a quelques années. Moments identiquement parfaits pour clore parfaitement cet article.