Bandes dessinées / Mangas, Coups de cœur

Le veilleur des Brumes / Robert Kondo & Dice Tsutsumi / Bande d’Ados

« Je crois que je connais un peu mieux… ce garçon que j’ai été… et celui que je suis devenu… »

Cela fait un petit moment que j’ai terminé l’intégrale de cette bande dessinée mais l’émotion est toujours intacte, merveilleuse quoiqu’un peu pudique, lorsque je la reprends dans mes mains. Juste avant de commencer à écrire cet article, j’ai touché ce livre, j’ai caressé la couverture avec amour et délicatesse comme si je lui disais merci. Merci à ce livre, merci à ses auteurs, merci à ce petit cochon -héros malgré lui- de m’avoir tant offert durant ces pages. Un peu de rêve mais surtout énormément d’espoir. Espoir pourquoi ? Pour quoi ? Pour l’après, après l’obscurité.

J’ai lu cette bande dessinée juste avant de perdre un être cher. Une personne avec qui je ne partageais pas le même sang mais avec laquelle j’étais liée par une sensibilité, un regard sur le monde, une évidence. Merci la vie. Je lisais cette bande dessinée et je savais, je savais que j’allais perdre cette personne bientôt. Et c’est fou comme parfois tout arrive à un moment donné, précis, ou peut-être pas d’ailleurs, mais tu as envie d’y croire, tu crois pas ? Qu’importe, j’ai lu ce récit et tout comme le héros, j’ai dit aurevoir, je lui ai dit aurevoir puis je me suis laissée envahir par cette dernière page, par cette aube qui annonce l’espoir et une vie autre. Pas une nouvelle vie. Une vie autre. Dans laquelle on est toujours ce que l’on est, mais avec, en sus, ce sentiment puissant de gratitude. Qui te fait voir les choses belles, qui te pousse à remercier et à te sentir plus fort, plus grand.

Rembobinons, s’il vous plaît. Pardon. De la noirceur, il y en a, dans ce récit. Elle est symbolisée par les brumes qui menacent le village de Val-de-l’Aube dans lequel ses habitants vivent insouciamment. Sauf Pierre qui, suite au décès de son père, est devenu veilleur des Brumes. Il lui incombe la tâche de s’occuper du barrage, dernier rampart contre cette marée d’ombres, marée mortelle. Les villageois ont oublié, depuis le temps. Lui ne peut pas. Oublier. Car tout dépend de lui. Tous ses autres camarades s’amusent, font des bêtises, apprennent. Lui, il fait juste semblant car tout repose sur ses épaules. Cette résignation. Elle est omniprésente. Etouffante. Mais elle est.

Vous l’aurez remarqué, Pierre est un cochon. Et sa meilleure amie est une renarde. Et son autre ami/ennemi/ennemipasttantqueça/etfinalementgrandami est un rhinocéros. Les personnages sont des animaux mais c’est fou à quel point on finit par ne plus y prêter attention. On en a moins l’habitude quand on lit des « trucs de grands » mais après tout, l’anthropomorphisme, c’est un peu la base de la littérature jeunesse (et je me permets d’ailleurs de déposer ici la sempiternelle question « Quel animal est Tchoupi ? », c’est cadeau les parents) mais après ? Après quand on grandit ? Pourquoi on ne garde plus ce principe ? Parfois c’est le cas et ça donne de grandes oeuvres. La ferme des animaux. Maus. Mais c’est trop rare. On devrait davantage y revenir, à l’anthropomorphisme. Non ? Fin de cette parenthèse aux allures d’analyse littéraire du dimanche, oups du mercredi. Oupsi du jeudi, désormais.

Que se passe-t-il quand l’équilibre vacille ? Plus que cela, quand tout s’écroule ? Réponse : c’est le chaos.

Or, du chaos peuvent naître de très belles choses. Si tant est qu’on traverse et qu’on réussit les épreuves qui s’offrent à nous. Et comme dans toute aventure initiatique, le héros n’est pas seul même si c’est à lui de se dépasser lors des différentes épreuves. Pierre est accompagné de ses amis dans cette course contre la montre pour sauver leur village. Ils ont neuf jours pour éviter la catastrophe. Sinon le village -et la vie qu’ils ont toujours connue- seront détruits par les brumes.

En chemin, ces trois compagnons feront des rencontres déterminantes. Et trouveront des Ailleurs. Qui ressemblent aux leurs. Ils diront bonjour. Parfois avec méfiance. Ils diront aurevoir. Souvent avec reconnaissance.

Regardez, regardez comme c’est beau de dire aurevoir. Il y a des aurevoir qui veulent dire merci.

La force du récit est là. Dans cette image, ci-dessus. Elle réside en cette fraternité. Tout est là. Tout est dit. Illustré avec finesse, poésie. Nous sommes dans le sublime. J’ai tant pleuré à la lecture de cette bande dessinée. Car elle vient chercher en nous ce qui est fondamental. Elle nous montre le sens. On peut l’oublier, parfois. Après tout, c’est humain. Mais le sens, le vrai ? Il est là, en nous et ici devant nos yeux. C’est l’amour. Tout simplement. La famille, les amis. Tous. Nous vivons tous pour aimer. Nous sommes tous vivants parce que nous aimons. Bon ok, tout ça ça fait très religieux ou niais ou peut-être même que ça me rappelle les paroles de ma prof de yoga qui énonce que nous vivons parce que nous aimons tandis que je m’escrime à tenir l’équilibre de l’arbre. Mais n’empêche, c’est juste. Sans amour, à quoi bon vivre ?

Quant à cette quête du père, elle me touche d’une façon indescriptible mais c’est une autre histoire, que je vous partagerai peut-être un jour, ici ou là. Elle est cependant éternelle car elle renvoie à la question de l’identité propre à chacun. C’est une quête douloureuse, sans nul doute.

Mais qu’elle est belle lorsqu’elle est résolue, aussi dramatique en soit l’issue.

Toujours. Toujours autant d’émotions en lisant cette merveille. Je ne sais pas quoi dire de plus. Il y a tout, dans cette bande dessinée. C’est une épopée aux allures d’universel. Je ne peux rien ajouter de plus. Je ne sais pas quoi ajouter de plus.

Ou peut-être que si. Cette bande dessinée me donne envie de dire merci. De remercier ceux qui font de moi celle que je suis. Heureusement que l’art nous rappelle bien souvent que l’essentiel est là. Avec eux. Ma famille, mes amis. Mes amis qui sont ma famille.

Avec Elle.

Non, ce n’est pas un aurevoir. Tous comme le fait Pierre le cochon, je ne dis pas aurevoir, je dis merci. Merci J. Tu as fait partie de ma quête initiatique, de mon épopée, aussi modeste soit-elle. Tu m’as élevée avec tes mots au quotidien, ta joie à toute épreuve -c’est le cas de le dire- ton infinie bonté et ton altruisme exemplaire. Je suis un peu plus forte grâce à toi. Je peux le dire.

Je crois que je connais un peu mieux cette fille que j’ai été. Et celle que je suis devenue.

Je souris. Je sais que tu aurais lu cet article avec attention. Et, comme toujours, tu m’aurais dit que tu étais fière de moi. Tu aurais laissé un cœur sur une story. Tu aurais accordé de l’importance à mon univers que je présente virtuellement. Et tu m’aurais serrée dans tes bras, en vrai de vrai, tout me déclamant quelques mots d’amour qui sourient. Tu aurais laissé ici et là-bas un peu, beaucoup, de toi dans ma vie. Tu as laissé ici et là-bas un peu, beaucoup, de toi dans ma vie.

Il y a tant de choses à voir après le chaos. Je le sais, maintenant. Il y a ce lever de soleil qui m’attend. Il y a toi, d’une autre manière, il faut que je la trouve. Et il y a eux.

Pour toi, J. Merci.

Merci à l’association Croqu’Livre pour la découverte au groupe lecture Ados

Bandes dessinées / Mangas

Lightfall. Tome 01 : La dernière flamme / Tim Porbert / Gallimard BD

Dimanche soir. 21h12. Demain, c’est la rentrée et chaque membre de ma petite famille va reprendre le chemin de l’école. Moi y compris. Ce soir, je ne ressens pas cette mélancolie habituelle des veilles de rentrée, celle qui te titille gentiment l’estomac et te fait faire des rêves un peu étranges -peuplés d’élèves insupportables et de charmants collègues qui font généralement des trucs chelous. Carrément. Oui, mais ce blues, c’est un mal-déplorable-mais-pas-bien-méchant-en-fait qui s’empare de moi ces veilles particulières de jours particuliers. Ce soir, c’est différent. Car en vérité, je ne sais de quoi demain sera fait. Je vais faire en sorte que. Travailler comme si. Continuer comme. C’est ce qu’on fait tous, non ? Certains y arrivent mieux que d’autres. À faire semblant. Je le fais, pour mes enfants. J’agis comme je peux, ce n’est pas parfait. Je les regarde plus intensément. Je renifle les cheveux de mon petit garçon lorsqu’il m’offre une étreinte. Je m’enivre de sa candeur. Je continue à m’agacer gentiment contre ma fille, mon ado préférée, mon alter égo, pour des broutilles organisationnelles mais je ne peux m’empêcher de lui déclamer que « ce n’est pas grave » parce que réellement, ce n’est pas grave. Je détourne mon regard du sien car elle, elle pourrait deviner. Que j’ai peur. Je ne sais pas si cette sensation vous est étrangère, à vous aussi ? Si je suis la seule à ressentir/réagir ainsi ? Dites-moi que je ne présente pas les premiers symptômes d’une folie furieuse certaine mais que je suis juste humaine, femme, maman.

La littérature jeunesse nous apporte tant. Je le revendique haut et fort, ici et ailleurs. Je réalise qu’elle possède, outre le fait de nous faire réfléchir, le pouvoir de nous émerveiller et nous en avons tant besoin, en cet instant précis, de cette évasion composée d’autres réalités. De réalités gracieuses. De réalités aériennes. De réalités qui pansent les pensées déchaînées. Je lis actuellement l’un des plus beaux récits découverts depuis longtemps. Je le garde précieusement avec moi, partout, jusqu’à ce que je m’abreuve du tout dernier mot. Son pouvoir d’échappatoire est décuplé en ces moments sombres. « Annie au milieu » d’Émilie Chazerand. Retenez ce titre. Si vous ne le pouvez pas, ne vous inquiétez pas je vous en parlerai -longuement- ici, sur ce blog.

À ce récit divin s’ajoute un autre récit divin que j’aimerais vous présenter aujourd’hui. La seule première de couverture suffit à nous apporter la clairvoyance dont nous avons besoin. Et de l’espoir, qui est au cœur de cette histoire.

« Lightfall » peut aisément être une métaphore de notre monde. Celui dans lequel vivent Béa, l’héroïne, et tous les autres personnages, est un monde empli de dangers. Ce qui n’est pas perceptible, au premier abord, lorsqu’on rencontre la jeune fille. En effet, Béa vit tranquillement avec son grand-père adoptif, un Cochon-Sorcier, fabricant de potions et gardien de la Flamme éternelle. On devine néanmoins qu’avec un tel statut, il n’est pas n’importe qui. Et l’on comprend que les petits déjeuners ne peuvent être des éternels recommencements de moments parfaits, composés d’œufs brouillés et de tendres échanges.

Un jour, tout change. Plus rien n’est comme avant. Pas même une lettre ne pourra modifier cet état de fait.

« Chère Béatrice,   
Je suis désolé si je t’ai paru distrait ce matin mais grâce à toi j’ai eu un flash. J’ai négligé un devoir de la plus haute importance. Je dois aller vérifier le Sceau du Dormeur sans repos ! Dommage qu’une tâche si cruciale repose sur les souvenirs brumeux et confus d’un vieux cochon comme moi.   
J’ai, à vrai dire, complètement oublié où se trouvait le Sceau mais je suis sûr que ça me reviendra.   
Je file !   
Quoi que tu fasses, ne me suis pas ! C’est trop dangereux ! Mais si tu me suis, enfile un pull…
« 

Que faire alors ? Continuer à vivre une vie rassurante, même si un être aimé n’en fait plus partie ? Ou combattre son angoisse maladive pour retrouver celui qui donne un sens si manifeste à son existence ? La réponse, nous l’avons déjà, elle est en chacun de nous.

Si la réponse est tout aussi profondément évidente pour Béa, dans les faits elle est toutefois dantesque. La jeune fille ne peut vivre sans son grand-père adoptif mais elle doit, pour le retrouver, combattre ses angoisses. Elle n’est en rien une super-héroïne. Ses failles la constituent et les faire disparaître n’a rien d’intelligible. Est-ce qu’on se prend facilement d’affection pour un personnage fragile et sincère ? Oui, bien sûr que oui. On l’aime à la folie, notre petite Béa.

Elle se lance. Véritablement et par amour. Une quête initiatique s’ouvre à elle. Pour la mener, elle sera accompagnée de Cad, cet être étrange rencontré précédemment lors d’une cueillette. Ce personnage ambitionne également de trouver le Cochon-Sorcier car il représente l’unique espoir de connaître les siens. Il paraît que son peuple n’existe plus. Cad serait le dernier des Galduriens. La vérité, vous l’aurez devinée, il n’y en a qu’un qui la détienne : le plus sage des plus attachants des plus drôles des Cochons-Sorciers.

Cad est inénarrable tant il est badin et sage à la fois. Disons simplement que Maître Yoda n’a qu’à bien se tenir, il a désormais un adversaire à sa taille. Quel personnage dingue dingue dingue. Tout le monde devrait avoir la chance d’avoir un Cad dans sa vie. Quelqu’un qui lui explique que la gentillesse primera sur tout, que l’amitié est la clé de tout. De tout. Sans que ce soit mièvre. Juste parce que c’est indubitable.

« Mieux vaut marcher avec un ami dans l’obscurité que seul dans la lumière ».

Heureusement que Cad est là pour Béa et que Béa est là pour Cad. À deux, ils pourront peut-être déjouer la terrible malédiction qui menace d’éteindre la lumière du monde. Ah bon ? Re-bonjour la jolie métaphore qui nous parlera, maintenant plus que jamais. Et c’est bien pour cela qu’on a besoin de cet ouvrage. Pour l’espoir qu’il nous apporte. L’espoir qui nous fait tous vivre aujourd’hui et qui nous fera renaître demain.

Je n’en dirai pas plus. Regardez plutôt.