Romans pour ados

Le buzz de l’abeille / Isabelle Renaud / Glénat

Ce n’est pas chose aisée que de parler d’environnement. Parce que si on s’accorde tous à dire que la planète est dans un bien mauvais état, il est difficile de se situer dans de ce gros Gloubi-boulga verdâtre composé : de chiffres-qui-font-bien-flipper-mais-en-même-temps-il-y-a-de-quoi-flipper-et-oui-les-tirets-font-désormais-partie-de-ma-marque-de-fabrique, de changements climatiques qui impactent de plus en plus notre quotidien alors qu’il y a peu les bouleversements environnementaux c’était un truc un peu occasionnel qui faisait vibrer les rédactions des journaux télévisés (surtout le 26 décembre, hein maman ?) et à vrai dire on ne s’en souciait guère une fois que notre curiosité par essence malsaine était rassasiée, de politiques qui font des manières sur le sujet sans jamais parvenir à faire bouger les choses parce qu’il y a certainement d’autres enjeux (bonjour la COP 17,18,19,20, 21, toutes les précédentes, toutes celles à venir) et de petites injonctions à faire comme il faudrait qu’on fasse alors qu’on galère à faire comme il faudrait qu’on fasse.

Attendez, je reprends mon souffle.

C’est fait. C’est qu’il y a tant à dire sur le sujet et ce n’est pas facile de s’y retrouver dans tout ça. S’il existe une vérité universellement connue et partagée -la planète est en danger et ça craint pour nous et nos enfants- on peut légitiment être perdu(e). Pas dans nos convictions mais dans nos actes. Comment faire ? Comment faire plus ? Comment faire mieux ? Comment faire et ne pas culpabiliser de ne pas faire aussi bien qu’il ne faudrait ? Comment faire et ne pas se faire juger par les autres ? J’avoue que cela m’arrive de penser au regard d’autrui quand je dispose, dans le coffre de ma voiture, les deux packs d’eau que j’achète chaque semaine. J’ai envie de crier fort fort fort sur le parking du Casinou : « L’eau est TRÈS calcaire chez moi, c’est pour ça que j’achète de la Cristouloune ! Et oui, oui vous tous qui me regardez -oui, toi aussi petite dame âgée qui a l’air sympathique mais je me méfie des dames âgées qui ont l’air sympathique- oui j’ai essayé les filtres à charbon, les perles de céramique et même le Binchotan et ça ne fonctionne pas, okay ? ». Pfioouu ça soulage de le crier virtuellement, je vous le dis. Parce qu’en vérité, si vous avez suivi mon p’tit topo antérieur sur mon moi introverti, je garde tout cela dans ma tête et je range mes packs d’eau vite fait bien fait. Sérieusement, j’ai bien l’impression qu’en matière d’environnement, c’est comme pour tout autre sujet, on vit de manière manichéenne et on s’oppose les uns aux autres. Peut-être que ma réflexion est un raccourci qui laisse à désirer mais c’est mon impression, là maintenant. Je ne sais pas si j’ai tort ou si j’ai raison mais en tous cas, il y a un truc auquel je crois fortement pour éviter de se glapir dessus sans s’entendre, comme les starounettes de la télé-réalité : c’est la pédagogie. Parole de prof ! Apprendre, expliquer, donner la parole en écoutant, vraiment, et puis agir, après. Je ne suis pas persuadée que c’est ce que l’on fait actuellement.

C’est avec ma p’tite histoire personnelle et tous ces questionnements sans vraiment de réponses que j’ai entamé la lecture du roman d’Isabelle Renaud.

Agathe est une adolescente de la banlieue parisienne. Et Paris, c’est toute sa vie, à tel point qu’elle a créé une chaîne YouTube intitulée « Le buzz de Paris » qui relate toutes ses aventures d’adolescente attachée à sa chère capitale mais aussi à ceux qui font vivre cette capitale. On a là déjà une esquisse de la véritable personnalité d’Agathe car elle ne propose pas de vlogs dans lesquels elle se met en scène en se mettant du gloss de chez l’Oreoul mais des interviews du vendeur de barbes à papa du jardin du Luxembourg ou encore d’un capitaine de bateau-mouche et ça, c’est déjà faire preuve d’une certaine curiosité tournée vers ce qu’on appelle encore si naïvement… l’être humain. Néanmoins, malgré toutes ses qualités ô combien humanistes, Agathe ne peut s’empêcher d’invectiver ses parents lorsque ces derniers lui annoncent qu’ils vont déménager pour se lancer dans le maraîchage et l’apiculture bio à la campagne.

« C’est une blague ? »

Non. Et la voila propulsée au fin fond du Vercors alors qu’elle n’avait vraiment, mais vraiment rien demandé. C’est avec l’ironie qui la caractérise qu’ Agathe explique leur geste. « Je crois que mes parents ont inventé la crise d’adolescence pour masquer un problème nettement plus sérieux : la crise de la quarantaine. Et de rajouter : Du jour au lendemain, certains quadragénaires se mettent à vriller et remettent tout en question : leur boulot et leur vie, mais aussi leur manière de consommer, la société, le monde entier.« 

Il y a là de quoi se questionner derrière l’humour qui dissimule le mécontentement d’Agathe. Ce changement de vie, certains y pensent, d’autres sont passés à l’acte. Et même que ça n’a rien de criminel. Cela devient de moins en moins anecdotique. Cette « crise verte » intitulée ainsi dans le tout premier chapitre, ne serait-elle pas une sorte d’antiphrase pour caractériser l’interrogation évidente qui nous trotte dans la tête mais qu’on laisse de côté, par peur de ?

J’aime beaucoup le personnage d’Agathe et je m’y suis identifiée très facilement. Oui j’ai grandi dans un village moyen au nom certainement imprononçable pour ceux qui sont en dehors de ce territoire merveilleux et cloisonné qu’on nomme communément l’Alsace. Mais j’aime la ville d’un amour infini. Bon, d’accord je l’ai quittée pour habiter dans un village limitrophe mais ce n’était pas gagné. Quand on nous a proposé de visiter un appartement de caractère dans une vieille maison située dans ce village au nom d’ingrédient hyper gras et en plus mal orthographié, j’ai éructé non pas question jamais de la vie.

Le lendemain, j’ai signé.

Mais habiter à la campagne ou ce qui y ressemble pas très loin de la ville (je n’arrive pas encore à accepter), ce n’était pas dans mes projets de vie. J’aimerais énoncer ici -puisqu’il paraît que l’écriture possède des vertus thérapeutique- que j’ai une véritable phobie des vers de terre qui n’est en rien compatible avec la campagne. J’ai déjà lancé un livre à l’autre du bout de mon CDI parce qu’il y avait une photographie de lombric dans un livre qui, d’après moi, n’a été édité que pour me terroriser. Aucun blessé n’est à déplorer si ce n’est le livre, je tiens à le préciser. Et non, il n’existe pas de ver de terre mignon. N’essayez pas de me convaincre. J’admets qu’ils sont plus qu’utiles pour la planète mais moins je les vois, mieux je me porte. Cette phobie porte un nom : l’anthelmophobie. C’est marrant parce que quand on recherche le nom correspondant à ma phobie sur Gougoule, on tombe sur un article intitulé « Vers de peur » (oui, du journalisme coquinou de qualité comme on l’aime) qui, après avoir explicité la phobie en question, préconise fortement la chose suivante :  » N’allez pas à la campagne si leur vue vous effraie ». Je répète : n’allez pas à la campagne si leur vue vous effraie. Tout est dit. Merci le journal des femmes. Le journal des femmes ? Hum.

Pour cela mais aussi pour maintes autres raisons, je peux concevoir le ressenti d’Agathe. Alors bien sûr elle réagit comme une adolescente avec ses émotions décuplées ; elle pense qu’elle atterrira chez les ploucs et qu’elle va dépérir dans cette zone rurale sous-peuplée. Mais au fond, elle a peur. De quitter tout ce qu’elle connaît par cœur, de ne plus être enivrée de cette constante mais rassurante vie qui se meut, tout le temps, qui ne s’interrompt jamais. On réalise très vite que derrière le sarcasme, Agathe a peur car elle devient fragile. Tout le monde peut comprendre cela.

Malgré l’enjeu presque solennel qui se joue dans la vie de l’adolescente, on rit énormément quand on lit ce roman. Vraiment. Le personnage joliment décalé d’Agathe y fait beaucoup mais l’autrice sait, avec malice, manier les vérités universelles pour nous faire sourire. Dont celle communément admise : l’adolescent(e) ne peut vivre sans connexion. Comprenez : sans internet.

Quand un ado n’a pas accès à internet, il s’en contrefiche d’être piqué par une abeille ou que Godzilla en personne lui fasse coucou avec sa grosse patte verte et griffue par la fenêtre de sa chambre, l’ado veut internet. Il est en détresse.
Ou comment le tilleul peut t’aider à respirer et à avoir de la connexion 4G (ou 3G, l’ado n’est pas difficile).

Qui a dit que nature et technologie étaient pire ennemis ? J’aime le fait que ce ne soit pas le cas dans ce roman. Aucunement. Et, outre le p’tit poke induit par le passage ci-dessus, les ados ne passent pas pour des êtres aliénés et des êtres 3.0 enchaînés à leur smartphone. Et franchement, ça fait du bien de ne pas recevoir un discours moralisateur en pleine face ou entre les lignes. Ici, au contraire, la technologie aide. Elle est plus qu’un support. Elle est la clef. C’est presque inattendu tant on a l’habitude de penser en mode binaire. Et ça, c’est génial.

L’autrice sait donc interpeller le lecteur et lui faire oublier ses prérequis parfois faussés. J’ai appris des tas de trucs. Bien sûr, j’étais au courant, au moins dans les grandes lignes, que le métier d’agriculteur ne s’improvisait pas. Mais comme c’est un univers qui est très éloigné du mien, je n’ai pas cherché plus loin. Il faut bien sûr beaucoup travailler pour y accéder, recevoir l’héritage d’une ferme comme les parents d’Agathe ne suffit pas à faire de quelqu’un un agriculteur. On apprend que le père, qui entame une reconversion, a suivi une formation pour obtenir le BPREA qui signifie « Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole ». « Il faut VRAIMENT une formation pour devenir paysan« . Eh oui, Agathe.

Il y a aussi une vérité énoncée qui est loin d’être idyllique. Les agriculteurs subissent directement les dommages du changement climatique. Ils endurent une réalité qui est globalement difficile. Isabelle Reynaud a su dépasser le simple imbroglio de départ pour nous offrir une indispensable réflexion sur les conditions de vie des agriculteurs, les difficultés rencontrées pour subvenir à leurs besoins, face aux « grands », par rapport aux marges des distributeurs et aux clients, également.

Parallèlement, nous prenons connaissance d’enjeux politiques qui dépassent largement le cadre du petit village du Vercors. Il y a tant de récupération politique avec des enjeux financiers qui vont au-delà de toutes les convictions écologiques. Cette dimension est très bien dépeinte dans le roman. Une intrigue est construire autour de cette problématique et, outre son aspect fictif évident, on imagine bien qu’elle peut être effective dans ce qu’on appelle vulgairement la vraie vie. Ce n’était pas évident d’en parler. Isabelle Renaut le fait très intelligemment.

Il faut ajouter à cela d’autres éclaircissements sur ce que la nature offre, la manière dont elle s’organise. La faune et la flore s’offrent joliment à nous dans ce roman et c’est tant mieux parce que vous savez quoi ? J’ai beau défendre les apports curatifs du goudron-mon-ami, je me suis surprise à m’émerveiller, comme Agathe, de ce que la nature pouvait offrir de plus pur et parfois même de plus surprenant. Ce n’est pas forcément ce que l’on observe en premier lieu. J’aime bien l’idée qu’il faille observer de près, se baisser parfois, pour toucher à ce qu’il y a de plus beau (tant que ce n’est pas un ver de terre. Il ne faut pas non plus pousser mémé dans les orties). Si, en plus, vous ajoutez à cette évidence l’importance de la transmission, alors vous êtes définitivement conquis.

Bon parfois, la nature peut nous dévoiler ce qu’elle a de plus surprenant aussi comme une grosse bourrine et pas forcément avec autant de délicatesse. J’ai en tête la nuée de hannetons qui déferlait chaque soir à 21h02 et pas une minutes après, chez la mère d’un ami, en Alsace, toujours. Une trentaine de hannetons tels des soldats avant une importante offensive militaire. 21h01 ? Garde-à-vous ! 21h02 ! En avant vol, les gars !

La nature est riche et belle, on ne peut le nier à la lecture de ce roman et sincèrement, lorsque la maman d’Agathe vit ses pires moments d’apicultrice, c’est comme si votre propre monde s’écroulait. Paf. Touchés en plein cœur. C’est que l’autrice nous a bien sensibilisés en plus de nous offrir un personnage attachant car passionnant, passionné.

La nature est riche et belle et ça vaut le coup de parcourir des kilomètres en vélo pour se faire un cinéma ou rejoindre une gare. Ça vaut le coup de rencontrer des personnes différentes de notre univers si confortable car peut-être qu’en bonus ou bien en récompense, vous aurez la chance, comme Agathe, de vivre une délicate histoire d’amour. Faite de spontanéité, sans aucun détour. « Et si on s’embrassait ? Je veux dire… Juste comme ça, en attendant ! Pour passer le temps !« 

J’ai passé un excellent moment de lecture et de lectrice avec « le buzz de l’abeille ». C’est un roman particulier car engagé, à l’image de la collection toute nouvelle toute belle proposée par les éditions Glénat, en collaboration avec le mouvement #Onestprêt qui a pour ambition de sensibiliser sur les enjeux environnementaux. Grâce à la culture, notamment. Comme quoi, la culture est plus que jamais essentielle.

Et n’oubliez pas, comme le dit si bien Mélanie, « LES TESPICIDES PUENT ! »