Tu t’es déjà sentie vivante ?
Ce roman, cela faisait des mois qu’il prenait la poussière sur ma table de chevet improvisée. A noter, c’est un livre que j’ai emprunté dans mon CDI. Je me le suis emprunté à moi-même. Ce qui est assez cocasse, n’est-ce pas, alors que je suis la première à râler après les élèves tandis que je les pourchasse dans le couloir pour récupérer leurs prêts. Ne me jugez pas merci bien.
Pourtant, j’avais énormément envie de le lire, ce roman, puisqu’il fait suite au très réussi « J’ai avalé un arc-en-ciel » qui m’avait déjà marquée pour mettre si joliment et naturellement en scène l’homosexualité féminine. Mais, la vie fait que parfois, ce n’est pas le moment et hop, comme par enchantement ou, au contraire, comme une évidence, cette petite filoute de vie nous rappelle juste quand il faut qu’elle a ce qu’il faut. Quand j’ai entamé ce roman, j’avais besoin de beau, de liberté, d’évasion et d’un peu de folie. Je n’ai pas été déçue.

Le résumé, déjà. Il dit déjà tout ou du moins l’essentiel. Qu’est-ce que la vie, sinon tout ce qu’on n’a pas imaginé ? Comme Capucine, quand j’étais petite, je rêvais d’une vie à 20 ans que je n’ai clairement pas vécue. Maintenant que j’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup de recul – une bonne trentaine d’année de recul oui oui ça fait beaucoup- je peux le narrer avec -oui même avec- un sourire. A 20 ans, j’en étais à mon année +2 de ma dépression. Je me battais avec mes blessures, ma vie, moi-même, tout ceci dans une chambre de 9m2 au sein d’un campus universitaire pas joli joli. A 20 ans, j’essayais de me sevrer tant bien que mal d’un cocktail de médocs qu’un psychiatre qui n’avait de psychiatre que son nom m’avait prescrit avec un hummm de psychiatre et pas plus. Bref, à 20 ans je ressemblais davantage à Ewan Mc Gregor dans Trainspotting en mode je-vois-un-bébé-chelou-marcher-sur-les-murs-parce-que-suis-en-sevrage qu’à Mme future Claire Chazal, étudiante parisienne dans une grande école de journalisme, écumant les soirées et les amoureux avec joie et insouciance. Oui, petite je me voyais présentatrice du journal télévisé. Entre parenthèses, je ne m’imaginais pas le monde télévisuel comme une machine à fric bien pourrie et inégalitaire avec des présentateurs criminels. J’avais 7 ans, quoi. Bref, à 20 ans je n’étais pas la grande personne que je m’étais imaginée petite fille. Comme à peu près, 99,99 % des gens. Comme Capucine.
La transition entre l’enfance, l’adolescence et le monde adulte est sacrément difficile. Pas seulement parce que ce n’est pas cohérent avec tout ce qu’on avait imaginé ou si joliment tracé, dans nos petites têtes de petits enfants naïfs et innocents. Mais parce que s’offre à nous, à ce moment précis, tout un monde de responsabilités et d’inconnu. Autant vous dire que l’inconnu de Capucine est immensément grand. Car la voilà projetée à Tokyo, avec son amoureuse. A deux et avec un amour comme le leur, tout est possible et kiffant mais quand Aiden doit retourner en Californie et laisser malgré elle Capucine à Tokyo, ben là, ça devient carrément flippant.
Parce que Tokyo, quoi. Je ne vais pas vous mentir, jamais je n’irai. Trop de monde, trop de tout. Capucine ne cache rien de cela. De cette immensité qui enivre, qui dynamise autant qu’elle donne le tournis. Mais notre jeune héroïne nous fait découvrir la ville comme aucune guide touristique ne le fait : avec son regard de jeune expatriée qui ne connaît ni la langue, ni les coutumes, ni le quotidien. Et il y a là quelque chose de grisant, de chouette. Cela ferait presque pencher la balance du bon côté : celui qui te fait oublier que tu vis dans une métropole de 14 millions d’habitants et que tu fais ta vie sur une faille géante. Sismiquement parlant, ça n’a pas l’air hype. Mais Capucine rend tout cela délicieusement appréciable et drôle, tellement drôle. Elle arrive à faire de ses déconvenues et de ses maladresses des moments insolites mais joyeux. C’est le pouvoir de l’auto-dérision.
« Et puis j’ai souri aussi parce que c’était la première fois depuis mon arrivée à Tokyo que quelqu’un me demandait ce que je faisais un vendredi soir. C’est un marqueur social, je trouve. De touriste à résidente, d’une certaine façon, ma vie tokyoïte décollait »
Et puis Capucine nous fait découvrir cette vie tokyoïte comme personne : les konbini, ces supérettes ouvertes jour et nuit (à Miami, il y a des palmiers, à Tokyo il y a les konbini), les izakaya (sorte de bistro dans lequel vous pouvez croiser des salarymen, des hommes en costume cravate qui finissent de travailler tard et qui aiment boire de l’alcool pour oublier qu’ils ont fini de travailler tard), les jiko bukken (ça c’est chelou, ce sont les maisons dans lesquelles il s’est passé une mort bizarre, les maisons qui se trouvent près d’un cimetière, ce genre de joyeusetés). Quant à la gastronomie japonaise, elle n’a plus de secrets pour nous lecteurs. Mieux -ou pire, à voir- vous aurez envie de trouver la première épicerie asiatique du coin et de vous gaver de Udon (des pâtes épaisses qui trempent dans du bouillon), de natto (bon ça c’est seulement si l’idée de manger des haricots de soja fermentés vous fait kiffer) ou encore d’okonomiyaki (sortes de pancakes-omelettes japonaises délicieuses, dixit Capucine, on la croit). Tout ceci n’est qu’un aperçu de toutes les petites et grandes découvertes de Capucine, durant les quelques mois passés à Tokyo. Ça donne terriblement envie.
Lorsqu’Aiden, sa petite amie, est contrainte de quitter la capitale japonaise pour la Californie, la plus grande découverte que fera Capucine sera spirituelle et clairement à vocation initiatique. Car quelle meilleure ou pire manière de se découvrir soi-même que lorsqu’on se retrouve perdue dans une ville qui est étrangère jusqu’à la langue parlée. Ouaip. Capucine n’est cependant pas seule puisqu’elle intègre une colocation en mode « auberge japonaise » qui pourrait sans nul doute faire de l’œil à Cédric Kaplisch pour un quatrième volume au cinéma. Si jamais vous avez l’idée d’un titre… Je l’aime bien, cette coloc. Personne n’y est parfait mais tout le monde y est parfaitement à sa place. C’est un si joli paradoxe. Il y a quelque chose de beau à être témoin de leur vie qui se forme dans le petit cocon qu’il ont créé et qui ne ressemble qu’à eux. J’ai aimé observer Lubin réaliser des tableaux Excel que lui seul semble comprendre, Koji avec ses orteils nus sur le tapis, Zenos qui peint debout au milieu du salon, Soo-Jin qui cache sa fragilité sous une capuche et Babar-la-big-boss-de-la-maisonnée qui traduit une lettre trouvée dans la maison.
Je ne vous ai pas encore parlé de cette lettre. Il faut que je vous parle de cette lettre. Laquelle offre au récit une intensité dramatique inattendue. Je vous le dis, je ne m’en remets pas. Gros choc émotionnel. Elle est datée du 30 avril 1955 et narre le bombardement de Tokyo du 10 mars 1945. 279 bombardiers. 100 000 japonais tués.
« Je m’en souviens comme si c’était hier. Les bras tendus comme des ailes, tu vins te cogner contre les jambes de ta soeur, produisant le son d’une explosion, puis tu te roulais par terre, et éclatas de rire lorsque Eiko te chatouilla. Tu n’avais pas encore trois ans ; la gravité de la situation t’échappait ».
3 ans, c’est l’âge de mon fils. Mon tout doux. Qui vit dans son monde de voitures volantes et de bateaux géants. Qui rigole quand on dit « gnokikis ». Qui chante « vite vite il faut se réveiller c’est la rentrée cheveux en pééééétard un peu dans le brouillard toilette de chat un peu raplapla » et qui mime le tout comme si c’était De Niro en plein cours d’actor studio. C’est ça voir 3 ans. Ce n’est pas devoir échapper à la mort.
Je ne vous en dis pas plus, de cette lettre. Elle a toute son importance au sein du récit et dans la vie de Capucine.
Bon. On retrouve ici, sur ce blog, mes avis complètement déstructurés. Donc j’enchaîne ! Ce que j’ai également beaucoup aimé dans ce roman, ce sont toutes les réflexions que l’on peut avoir sur l’amour. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas linéaire l’amour. Cela ne correspond pas à une seule et même image, un homme un femme des enfants et ils vécurent heureux. Cela peut tout à fait être deux femmes qui s’aiment ou deux hommes. Mais pourquoi se poser des questions, en fait ? Est-ce que ce ne serait pas juste de l’amour et puis c’est tout ? Ben oui. Et c’est déjà ce que j’avais aimé dans « J’ai avalé un arc-en-ciel », le volume précédent. Le fait que l’homosexualité ne soit pas traitée comme un problème avec tout son lot de dramas. Dans le premier tome, Capucine comprend vite qu’elle est amoureuse d’Aiden, c’est tout naturel. Avant elle était amoureuse de Ben, et puis c’est tout. Elle avoue son ressenti à ses parents qui l’acceptent sans aucun problème et puis c’est tout. Y a tellement de choses dans ces « et puis c’est tout ». Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les extrapolations incessantes des « gens » mais c’est Capucine qui s’en charge dans ce roman :

La liberté d’aimer. Voilà tout. Ce récit, c’est juste une magnifique ode à la liberté. Bien évidemment, ce n’est pas facile d’aimer librement. Cela n’empêche pas de ses poser mille questions. Quand Capucine se découvre des sentiments pour l’une de ses colocs (Soo-Jin, la fille fragile qui cache sa fragilité sous sa capuche), ce sont aussi toutes ses convictions qui vacillent. C’est si intelligemment décrit. Parce que celui/celle qui n’a jamais douté durant une relation amoureuse jette la première pierre à celui qui. J’ai rarement lu ça dans un roman. Tout semble toujours évident. Ou alors il y a un obscur triangle amoureux à résoudre du type Edward-Bellaquiminaude-Jacob, qui n’est pas transcendant (ne vous méprenez pas, j’ai été fan archi fan de Twilight durant ma jeunesse, je m’insurge surtout parce qu’il n’y a pas de débat possible hein, il n’y a jamais eu qu’Edward on est bien d’accord). Dans ce roman, c’est bien plus profond, c’est à la fois aussi doux que de tenir la main de Soo-Jin toute la nuit pour combler un vide que douloureux comme un baiser qu’on réfrène alors qu’on en a terriblement envie. Ce n’est pas l’une Aiden ou l’autre Soo-Jin et hop, on finit par choisir. C’est beaucoup beaucoup, beaucoup plus subtil. C’est joli, aussi.
« Soo-Jin était recroquevillée sur son futon au milieu de ses peluches. Elle pleurait dans les bras de Jean-Pierre. Ça m’a fait froid dans le dos. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Je suis allée m’assoeir à côté d’elle et j’ai posé ma main sur son épaule. Elle a serré Jean-Pierre plus fort (…) Ne sachant pas trop quoi faire, je lui ai parlé en français. Soo-Jin adore que je parle en français. J’ai récité Le Lion et le Rat, Le Corbeau et le Renard et La Cigale et la Fourmi en lui tenant la main ».
C’est beau. Vous voyez, y a pas de tromperie hyper glauque ou un triangle amoureux vampiro-louggarouesque. Y a juste deux êtres qui se lient quand ils ont besoin de se lier. Et des tonnes de questions qui en découlent. En tous cas, ça ressemble terriblement aux petites complications de l’amour qui, vous l’avez bien compris, n’est pas linéaire et uniforme. Ça ressemble un peu à ça la vie, non ? Oui. Et aussi, dans la vie, les doudous existent même quand on est grand, moyen grand ou très très grand. Le mien s’appelle Surimi, il fait 1m20 et c’est un Lémurien tout usé. Merci Soo-Jin, passe le bonjour à Jean-Pierre.
Ce roman, c’est un gros gros shoot de vie à l’état pur. Ce qui induit une bonne réflexion sur le pourquoi et le comment de l’existence mais aussi sur sa fin. Ça remue pas mal. Mais qu’est-ce que ça fait du bien d’être bousculé, de ne pas forcément contrôler ses émotions. Y a juste à lire ce roman immensément riche, en questionnement, en émotions, en tout. Un roman que je « grenouille » passionnément. Qu’est-ce que c’est que ce terme, encore ? Ah ah. Vous le saurez en lisant cette merveille…