Romans pour ados

J’ai égaré la lune / Erwan Ji / Nathan

Tu t’es déjà sentie vivante ?

Ce roman, cela faisait des mois qu’il prenait la poussière sur ma table de chevet improvisée. A noter, c’est un livre que j’ai emprunté dans mon CDI. Je me le suis emprunté à moi-même. Ce qui est assez cocasse, n’est-ce pas, alors que je suis la première à râler après les élèves tandis que je les pourchasse dans le couloir pour récupérer leurs prêts. Ne me jugez pas merci bien.

Pourtant, j’avais énormément envie de le lire, ce roman, puisqu’il fait suite au très réussi « J’ai avalé un arc-en-ciel » qui m’avait déjà marquée pour mettre si joliment et naturellement en scène l’homosexualité féminine. Mais, la vie fait que parfois, ce n’est pas le moment et hop, comme par enchantement ou, au contraire, comme une évidence, cette petite filoute de vie nous rappelle juste quand il faut qu’elle a ce qu’il faut. Quand j’ai entamé ce roman, j’avais besoin de beau, de liberté, d’évasion et d’un peu de folie. Je n’ai pas été déçue.

Le résumé, déjà. Il dit déjà tout ou du moins l’essentiel. Qu’est-ce que la vie, sinon tout ce qu’on n’a pas imaginé ? Comme Capucine, quand j’étais petite, je rêvais d’une vie à 20 ans que je n’ai clairement pas vécue. Maintenant que j’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup de recul – une bonne trentaine d’année de recul oui oui ça fait beaucoup- je peux le narrer avec -oui même avec- un sourire. A 20 ans, j’en étais à mon année +2 de ma dépression. Je me battais avec mes blessures, ma vie, moi-même, tout ceci dans une chambre de 9m2 au sein d’un campus universitaire pas joli joli. A 20 ans, j’essayais de me sevrer tant bien que mal d’un cocktail de médocs qu’un psychiatre qui n’avait de psychiatre que son nom m’avait prescrit avec un hummm de psychiatre et pas plus. Bref, à 20 ans je ressemblais davantage à Ewan Mc Gregor dans Trainspotting en mode je-vois-un-bébé-chelou-marcher-sur-les-murs-parce-que-suis-en-sevrage qu’à Mme future Claire Chazal, étudiante parisienne dans une grande école de journalisme, écumant les soirées et les amoureux avec joie et insouciance. Oui, petite je me voyais présentatrice du journal télévisé. Entre parenthèses, je ne m’imaginais pas le monde télévisuel comme une machine à fric bien pourrie et inégalitaire avec des présentateurs criminels. J’avais 7 ans, quoi. Bref, à 20 ans je n’étais pas la grande personne que je m’étais imaginée petite fille. Comme à peu près, 99,99 % des gens. Comme Capucine.

La transition entre l’enfance, l’adolescence et le monde adulte est sacrément difficile. Pas seulement parce que ce n’est pas cohérent avec tout ce qu’on avait imaginé ou si joliment tracé, dans nos petites têtes de petits enfants naïfs et innocents. Mais parce que s’offre à nous, à ce moment précis, tout un monde de responsabilités et d’inconnu. Autant vous dire que l’inconnu de Capucine est immensément grand. Car la voilà projetée à Tokyo, avec son amoureuse. A deux et avec un amour comme le leur, tout est possible et kiffant mais quand Aiden doit retourner en Californie et laisser malgré elle Capucine à Tokyo, ben là, ça devient carrément flippant.

Parce que Tokyo, quoi. Je ne vais pas vous mentir, jamais je n’irai. Trop de monde, trop de tout. Capucine ne cache rien de cela. De cette immensité qui enivre, qui dynamise autant qu’elle donne le tournis. Mais notre jeune héroïne nous fait découvrir la ville comme aucune guide touristique ne le fait : avec son regard de jeune expatriée qui ne connaît ni la langue, ni les coutumes, ni le quotidien. Et il y a là quelque chose de grisant, de chouette. Cela ferait presque pencher la balance du bon côté : celui qui te fait oublier que tu vis dans une métropole de 14 millions d’habitants et que tu fais ta vie sur une faille géante. Sismiquement parlant, ça n’a pas l’air hype. Mais Capucine rend tout cela délicieusement appréciable et drôle, tellement drôle. Elle arrive à faire de ses déconvenues et de ses maladresses des moments insolites mais joyeux. C’est le pouvoir de l’auto-dérision.

« Et puis j’ai souri aussi parce que c’était la première fois depuis mon arrivée à Tokyo que quelqu’un me demandait ce que je faisais un vendredi soir. C’est un marqueur social, je trouve. De touriste à résidente, d’une certaine façon, ma vie tokyoïte décollait »

Et puis Capucine nous fait découvrir cette vie tokyoïte comme personne : les konbini, ces supérettes ouvertes jour et nuit (à Miami, il y a des palmiers, à Tokyo il y a les konbini), les izakaya (sorte de bistro dans lequel vous pouvez croiser des salarymen, des hommes en costume cravate qui finissent de travailler tard et qui aiment boire de l’alcool pour oublier qu’ils ont fini de travailler tard), les jiko bukken (ça c’est chelou, ce sont les maisons dans lesquelles il s’est passé une mort bizarre, les maisons qui se trouvent près d’un cimetière, ce genre de joyeusetés). Quant à la gastronomie japonaise, elle n’a plus de secrets pour nous lecteurs. Mieux -ou pire, à voir- vous aurez envie de trouver la première épicerie asiatique du coin et de vous gaver de Udon (des pâtes épaisses qui trempent dans du bouillon), de natto (bon ça c’est seulement si l’idée de manger des haricots de soja fermentés vous fait kiffer) ou encore d’okonomiyaki (sortes de pancakes-omelettes japonaises délicieuses, dixit Capucine, on la croit). Tout ceci n’est qu’un aperçu de toutes les petites et grandes découvertes de Capucine, durant les quelques mois passés à Tokyo. Ça donne terriblement envie.

Lorsqu’Aiden, sa petite amie, est contrainte de quitter la capitale japonaise pour la Californie, la plus grande découverte que fera Capucine sera spirituelle et clairement à vocation initiatique. Car quelle meilleure ou pire manière de se découvrir soi-même que lorsqu’on se retrouve perdue dans une ville qui est étrangère jusqu’à la langue parlée. Ouaip. Capucine n’est cependant pas seule puisqu’elle intègre une colocation en mode « auberge japonaise » qui pourrait sans nul doute faire de l’œil à Cédric Kaplisch pour un quatrième volume au cinéma. Si jamais vous avez l’idée d’un titre… Je l’aime bien, cette coloc. Personne n’y est parfait mais tout le monde y est parfaitement à sa place. C’est un si joli paradoxe. Il y a quelque chose de beau à être témoin de leur vie qui se forme dans le petit cocon qu’il ont créé et qui ne ressemble qu’à eux. J’ai aimé observer Lubin réaliser des tableaux Excel que lui seul semble comprendre, Koji avec ses orteils nus sur le tapis, Zenos qui peint debout au milieu du salon, Soo-Jin qui cache sa fragilité sous une capuche et Babar-la-big-boss-de-la-maisonnée qui traduit une lettre trouvée dans la maison.

Je ne vous ai pas encore parlé de cette lettre. Il faut que je vous parle de cette lettre. Laquelle offre au récit une intensité dramatique inattendue. Je vous le dis, je ne m’en remets pas. Gros choc émotionnel. Elle est datée du 30 avril 1955 et narre le bombardement de Tokyo du 10 mars 1945. 279 bombardiers. 100 000 japonais tués.

« Je m’en souviens comme si c’était hier. Les bras tendus comme des ailes, tu vins te cogner contre les jambes de ta soeur, produisant le son d’une explosion, puis tu te roulais par terre, et éclatas de rire lorsque Eiko te chatouilla. Tu n’avais pas encore trois ans ; la gravité de la situation t’échappait ».

3 ans, c’est l’âge de mon fils. Mon tout doux. Qui vit dans son monde de voitures volantes et de bateaux géants. Qui rigole quand on dit « gnokikis ». Qui chante « vite vite il faut se réveiller c’est la rentrée cheveux en pééééétard un peu dans le brouillard toilette de chat un peu raplapla » et qui mime le tout comme si c’était De Niro en plein cours d’actor studio. C’est ça voir 3 ans. Ce n’est pas devoir échapper à la mort.

Je ne vous en dis pas plus, de cette lettre. Elle a toute son importance au sein du récit et dans la vie de Capucine.

Bon. On retrouve ici, sur ce blog, mes avis complètement déstructurés. Donc j’enchaîne ! Ce que j’ai également beaucoup aimé dans ce roman, ce sont toutes les réflexions que l’on peut avoir sur l’amour. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas linéaire l’amour. Cela ne correspond pas à une seule et même image, un homme un femme des enfants et ils vécurent heureux. Cela peut tout à fait être deux femmes qui s’aiment ou deux hommes. Mais pourquoi se poser des questions, en fait ? Est-ce que ce ne serait pas juste de l’amour et puis c’est tout ? Ben oui. Et c’est déjà ce que j’avais aimé dans « J’ai avalé un arc-en-ciel », le volume précédent. Le fait que l’homosexualité ne soit pas traitée comme un problème avec tout son lot de dramas. Dans le premier tome, Capucine comprend vite qu’elle est amoureuse d’Aiden, c’est tout naturel. Avant elle était amoureuse de Ben, et puis c’est tout. Elle avoue son ressenti à ses parents qui l’acceptent sans aucun problème et puis c’est tout. Y a tellement de choses dans ces « et puis c’est tout ». Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les extrapolations incessantes des « gens » mais c’est Capucine qui s’en charge dans ce roman :

La liberté d’aimer. Voilà tout. Ce récit, c’est juste une magnifique ode à la liberté. Bien évidemment, ce n’est pas facile d’aimer librement. Cela n’empêche pas de ses poser mille questions. Quand Capucine se découvre des sentiments pour l’une de ses colocs (Soo-Jin, la fille fragile qui cache sa fragilité sous sa capuche), ce sont aussi toutes ses convictions qui vacillent. C’est si intelligemment décrit. Parce que celui/celle qui n’a jamais douté durant une relation amoureuse jette la première pierre à celui qui. J’ai rarement lu ça dans un roman. Tout semble toujours évident. Ou alors il y a un obscur triangle amoureux à résoudre du type Edward-Bellaquiminaude-Jacob, qui n’est pas transcendant (ne vous méprenez pas, j’ai été fan archi fan de Twilight durant ma jeunesse, je m’insurge surtout parce qu’il n’y a pas de débat possible hein, il n’y a jamais eu qu’Edward on est bien d’accord). Dans ce roman, c’est bien plus profond, c’est à la fois aussi doux que de tenir la main de Soo-Jin toute la nuit pour combler un vide que douloureux comme un baiser qu’on réfrène alors qu’on en a terriblement envie. Ce n’est pas l’une Aiden ou l’autre Soo-Jin et hop, on finit par choisir. C’est beaucoup beaucoup, beaucoup plus subtil. C’est joli, aussi.

« Soo-Jin était recroquevillée sur son futon au milieu de ses peluches. Elle pleurait dans les bras de Jean-Pierre. Ça m’a fait froid dans le dos. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Je suis allée m’assoeir à côté d’elle et j’ai posé ma main sur son épaule. Elle a serré Jean-Pierre plus fort (…) Ne sachant pas trop quoi faire, je lui ai parlé en français. Soo-Jin adore que je parle en français. J’ai récité Le Lion et le Rat, Le Corbeau et le Renard et La Cigale et la Fourmi en lui tenant la main ».

C’est beau. Vous voyez, y a pas de tromperie hyper glauque ou un triangle amoureux vampiro-louggarouesque. Y a juste deux êtres qui se lient quand ils ont besoin de se lier. Et des tonnes de questions qui en découlent. En tous cas, ça ressemble terriblement aux petites complications de l’amour qui, vous l’avez bien compris, n’est pas linéaire et uniforme. Ça ressemble un peu à ça la vie, non ? Oui. Et aussi, dans la vie, les doudous existent même quand on est grand, moyen grand ou très très grand. Le mien s’appelle Surimi, il fait 1m20 et c’est un Lémurien tout usé. Merci Soo-Jin, passe le bonjour à Jean-Pierre.

Ce roman, c’est un gros gros shoot de vie à l’état pur. Ce qui induit une bonne réflexion sur le pourquoi et le comment de l’existence mais aussi sur sa fin. Ça remue pas mal. Mais qu’est-ce que ça fait du bien d’être bousculé, de ne pas forcément contrôler ses émotions. Y a juste à lire ce roman immensément riche, en questionnement, en émotions, en tout. Un roman que je « grenouille » passionnément. Qu’est-ce que c’est que ce terme, encore ? Ah ah. Vous le saurez en lisant cette merveille…

Bandes dessinées / Mangas, Coups de cœur

L’année où je suis devenue ado / Nora Dåsnes / Casterman

Je ne sais pas vous, mais plus on grandit plus on a tendance à rayer de notre esprit les états incroyables dans lesquels nous nous mettions lorsque nous étions jeunes, vraiment jeunes. Peut-être que vous l’êtes encore, vous ? Ou peut-être que vous n’avez pas oublié ces situations si particulières. Quand nous nous embrouillions avec nos amis et que cela engendrait des histoires qui nous dépassaient par leur immensité romanesque. Quand nous avions un crush sur un garçon/une fille, que nous ne dormions pas huit jours avant le jour J, celui du rendez-vous, celui du cinéma et de la main certainement moite qui effleurera sans doute la nôtre. Quand nous vivions des moments gênants ou de grands malheurs et que nous n’attendions qu’une seule chose : dormir et éventuellement mourir (mais en musique avec la musique la plus triste de toutes les musiques tristes. Je suis certaine que vous voyez exactement ce que je veux signifier par là).

Vous avez oublié tout ça, vous ? Ça peut arriver et ce n’est pas grave. Après tout, ce n’est que la faute de la vie pas-cool-parce-que-la-plupart-du-temps-elle-est-loin-d-être-magique-d-ailleurs-j-ai-du-linge-à-étendre. Mais ce serait chouette si on pouvait y repenser. Ou le vivre. Ça peut arriver. Tout est possible. Comme lorsque vous retombez amoureuse, à 31 ans, après avoir mis un mec dans votre caddie à gauche de votre écran d’ordinateur après que lui-même vous ait jeté un sort avec une baguette magique virtuelle. J’y reviendrai peut-être un jour, sur ce truc dingue mais dingue qui te bouscule à tel point que tu oublies que tu n’as pas étendu tes fringues depuis deux jours.

Tout cela pour vous dire que cela se produit, encore, de ressentir tout ce bordel d’émotions. Ou alors, à défaut de le vivre, un livre -oui, un simple livre- peut vous ramener à ça, à ce qui vous faisait vous sentir si vivant que vous aviez peur d’en décéder. Hé hé. C’est un peu ce qui m’est arrivée avec ce joli roman graphique. C’est comme s’il m’avait pris par les épaules, me les avait secouées et m’avait crié à l’oreille : « eh oh t’as oublié, ou quoi ? » Il faut bien évidemment que je fasse ici une mise au point : bien sûr, je réalise toujours avec émotion, en ouvrant les yeux le matin, que je me réveille avec l’être aimé. Et c’est toujours aussi bien ! Simplement, je ne sors plus du lit en mode ninja pour me brosser les dents en mode ninja-qui-se-brosse-les-dents-oui-j-aime-un-peu-trop-les-tirets, pour ensuite revenir me blottir contre cet être aimé l’air de rien. Quoique, c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans l’amour : le fait qu’après plusieurs années passées ensemble, même avec votre vieux t-shirt de Motörhead et votre haleine qui laisse à désirer, celui qui est à côté de vous vous aime de manière aussi évidente qu’au premier jour, et vice-versa. Rien ne changera ça, pas même du colgoute spécial dents blanches au charbon. Quoi, je m’égare? Encore ! Pas possible !

Lorsqu’on a ce roman graphique en main, on ne s’attend pas vraiment à lire ce qu’on va lire. Enfin, pas tout à fait. La couverture est très chouette mais on la regarde différemment une fois le récit terminé. Elle n’est plus chouette. Elle est évidente. Elle raisonne alors avec tout, tout ce que vous avez lu, tout ce que vous avez vu, au long des quelques 200 pages.

Tout est différent, après. On ne voit plus de la même façon la forêt, la musique qui s’échappe du casque, les regards en arrière-plan, les mains dans les poches.

Ce roman graphique de Nora Dåsnes est traduit du Norvégien mais, très honnêtement, l’histoire pourrait se jouer n’importe où. Elle est universelle. Il n’y a qu’à moi que cela ait quelque peu posé problème car il a fallu que je recherche le caractère spécial å pour écrire le nom de l’autrice. J’ai appris, d’ailleurs, grâce à notre cher Wikipédiou, que la lettre å constitue aussi un mot à part entière, en danois, suédois et norvégien et qu’il signifie ruisseau ou rivière. C’est joli, je trouve, non ? Cette image s’accorde bien avec ce récit dans lequel la nature occupe une place importante. C’est une belle analogie que nous tenons là.

Je crois qu’il n’y a pas besoin de commentaire. Ou peut-être que si. Cette cabane. Cette petite fille qui s’en va écrire dans son journal en une douce fin d’été. Cette illustration montre peut-être exactement ce à quoi pourrait ressembler une petite fille avant qu’elle ne connaisse les tourments propres à l’apprentissage de la vie, lorsque l’on devient adolescent.

Au tout début de ce roman graphique, on apprend qu’Emma a passé un été tranquille, apaisant. Un été simple, qui lui ressemble. On imagine -puisqu’on apprend à la découvrir à travers son journal intime- qu’elle a joué de la clarinette et qu’elle s’est gavée de bonbons acides à la fraise. Qu’elle a dessiné dans son carnet, bien sûr. Ce qui est certain, c’est qu’elle a profité de bons moments avec son père -le meilleur père au monde de toutes les histoires des pères fictifs, je vous le dis- jusqu’au dernier jour, celui qui marque la fin de l’été parce qu’ils savourent tous deux les dernières glaces du congélateur. C’est doux, comme ambiance. C’est chaleureux et reposant, comme une belle et longue journée d’été. Rien ne présage que ce sera différent désormais. Parce qu’il y a bien encore deux mondes séparés pour Emma : celui du collège qui est un monde fermé, ennuyeux, marqué par les obligations, et celui de la forêt, qui renferme une cabane (ou plutôt une base), des combats de bâtons et un joli sentiment de liberté.

Regardez, il y a un petit ruisseau derrière. Un petit å.

Sauf que ! C’est la rentrée en cinquième et tout change. Tout ce monde qu’elle s’était construit, fait de poursuites dans la forêt et de grandes discussions avec Bao et Linnéa, ses deux copines de toujours, s’écroule. Disons plutôt qu’il s’effrite, petit à petit. À cause de quoi ? De l’amour évidemment ! Quel fourbe, celui-là.

L’amour, c’est trop débile ! Car Linnéa tombe amoureuse et fait vaciller le trio gagnant. Cela peut nous faire sourire, nous les adultes, mais tout se passe exactement comme cela quand on grandit. L’amitié est mise à rude épreuve et la façon dont on peut réceptionner cette fragilité nouvelle peut être vécue de manière très intense.

L’histoire qui se joue dans ce roman graphique pourrait être celle de toute jeune fille d’une douzaine d’années qui se situe à ce moment exact de sa vie où elle n’est plus une enfant mais pas encore une adolescente. Ce n’est pas le moment le plus confortable d’une existence parce qu’il y a toutes ces questions existentielles qui taraudent celui ou celle qui les vit. C’est ça : il y a peu, dans la tête d’Emma, elles n’existaient même pas, ces questions. Tout était beaucoup plus simple. Aussi simple que de déguster les lasagnes du meilleur papa de tous les papas fictifs, un samedi soir, sur le canapé. Désormais, elle n’arrête pas de penser à cette histoire de maturité. Qu’elle soit une fille-qui-a-des-histoires-d’amour ou une fille-qui-n-a-JAMAIS-d’histoire-d’amour (je suis ici obligée d’insérer une parenthèse chère à mon coeur pour vous dire à quel point je suis heureuse de voir qu’il y a aussi des autrices qui utilisent des tirets chers à mon coeur pour appuyer des expressions).

Ce que j’aime particulièrement, dans ce roman graphique, c’est la vérité justement retranscrite, que ce soit avec les images ou avec les mots. Parce que, clairement, il n’y a aucune facilité ni chemin tout tracé dans la vie. Vraiment, vraiment pas de chemin tout tracé. Encore moins en amour. Malgré tout ce qu’on a pu assimiler en la matière, depuis l’enfance. Je veux parler de cette image normée de l’amour. Rien n’est pas facile, surtout si les sentiments ne s’accordent pas avec les représentations longtemps imprégnées en nous.

Et puis Emma réalise elle aussi qu’elle est amoureuse – après bien des questionnements. Ben oui, comment on sait si on est amoureuse ? Linnéa lui apporte des pistes de réflexion : On le sait, c’est tout on le sent dans le ventre et puis on pense tout le temps à la personne et on trouve que c’est lui le PLUS BG de tout le collège !! et puis on devient un peu parano on le stalke sur Snapchat et tout. Oui, être amoureux, ça ressemble à ça mais chacun peut adapter cette version à sa propre vie – et à son âge, parole de presque quarantenaire (Oui ? Ben oui). C’est génial d’être amoureuse, c’est ce qu’Emma attendait pour être enfin cette fille mature, pour être comme les grands, les adolescents, les adultes. Et puis, c’est si chouette de se sentir amoureux. C’est comme être pleine de soda à l’intérieur. Comme se réveiller un matin de Noël.

Néanmoins, cela fait peur à Emma. Pourquoi ? On revient à cette fameuse image normée de l’amour qui est sensée coller à nos sentiments. Elle ne colle clairement pas avec ceux de la jeune fille. Emma est amoureuse de Mariam. Cela est compliqué à gérer, pour elle. Parce qu’il y a cette adrénaline que l’amour déclenche et qui est génialement flippante -cette peur est plutôt sympa et facile à apprivoiser- mais il y a aussi cette angoisse viscérale du regard des autres et celle-ci n’est pas celle qui te pousse à gravir mille Everest alors que tu n’as jamais fait une rando de ta vie. Elle est davantage du genre à te figer sur place, comme si tu ne faisais qu’une entité mi-homme mi-goudron avec le sol. Alors imaginez si l’on rajoute quelques complications amicales voire quelques trahisons…

Heureusement, il existe des personnes, que dis-je des piliers. Qui, quoi qu’il vous arrive dans votre vie, sont là. Juste là. Vous voyez où je veux en venir ? Vers qui ? Mais oui, vers ce père, le meilleur père de l’histoire des pères fictifs. Non seulement il fait les meilleures lasagnes du monde mais il fait partie de ce genre de specimen peut-être devenu trop rare qui écoute puis qui énonce simplement les mots qu’il faut. Les mots parfaits.

Le personnage du père est l’un des mes personnages préférés de ce roman graphique, vous l’aurez compris. Je crois que je suis tombée un peu amoureuse (pardon, mon amour mais ce n’est qu’un crush romanesquement fictif). D’autant plus qu’il a de très très bons goûts musicaux.

Est-ce que ça se fait de demander à Emma si je peux épouser son papa ? Mon amour, tu sais peut-être ce qu’il reste à faire…

Nous ne connaissons pas l’histoire d’Emma et de son papa. Pourquoi vivent-ils seuls ? Emma en souffre-t-elle ? Ne sont relatés que des moments d’une justesse infinie. Que ce soit des discussions à cœur ouvert ou des interrogations drôles mais existentielles sur la façon la plus propice de réagir quand on est père d’une fille qui devient ado. Il y a tant de tendresse dans ce récit. Elle est à son apogée avec la scène démontrée ci-dessus mais elle se ressent tout au long de la lecture. Jusqu’à la fin qui est sublime. Les dix dernières pages sont d’une beauté indéniable. A l’image de tout le roman. Mais alors, la fin. Il est difficile de s’en remettre. Âmes sensibles, ne surtout pas s’abstenir !

Ce roman graphique est à mettre entre toutes les mains. Que vous soyez préado, ado ou adulte. Pour maintes raisons. Pour accompagner les sentiments terrorisants et parfois contradictoires que vous ressentez. Pour comprendre les autres et les regarder différemment, au-delà des apparences et surtout des normes. Pour se souvenir et se rappeler que tout ce remue-ménage d’émotions, c’est ce qui nous rend vivants. Alors, n’oublions pas et vivons. Vraiment !