Dimanche soir. 21h12. Demain, c’est la rentrée et chaque membre de ma petite famille va reprendre le chemin de l’école. Moi y compris. Ce soir, je ne ressens pas cette mélancolie habituelle des veilles de rentrée, celle qui te titille gentiment l’estomac et te fait faire des rêves un peu étranges -peuplés d’élèves insupportables et de charmants collègues qui font généralement des trucs chelous. Carrément. Oui, mais ce blues, c’est un mal-déplorable-mais-pas-bien-méchant-en-fait qui s’empare de moi ces veilles particulières de jours particuliers. Ce soir, c’est différent. Car en vérité, je ne sais de quoi demain sera fait. Je vais faire en sorte que. Travailler comme si. Continuer comme. C’est ce qu’on fait tous, non ? Certains y arrivent mieux que d’autres. À faire semblant. Je le fais, pour mes enfants. J’agis comme je peux, ce n’est pas parfait. Je les regarde plus intensément. Je renifle les cheveux de mon petit garçon lorsqu’il m’offre une étreinte. Je m’enivre de sa candeur. Je continue à m’agacer gentiment contre ma fille, mon ado préférée, mon alter égo, pour des broutilles organisationnelles mais je ne peux m’empêcher de lui déclamer que « ce n’est pas grave » parce que réellement, ce n’est pas grave. Je détourne mon regard du sien car elle, elle pourrait deviner. Que j’ai peur. Je ne sais pas si cette sensation vous est étrangère, à vous aussi ? Si je suis la seule à ressentir/réagir ainsi ? Dites-moi que je ne présente pas les premiers symptômes d’une folie furieuse certaine mais que je suis juste humaine, femme, maman.
La littérature jeunesse nous apporte tant. Je le revendique haut et fort, ici et ailleurs. Je réalise qu’elle possède, outre le fait de nous faire réfléchir, le pouvoir de nous émerveiller et nous en avons tant besoin, en cet instant précis, de cette évasion composée d’autres réalités. De réalités gracieuses. De réalités aériennes. De réalités qui pansent les pensées déchaînées. Je lis actuellement l’un des plus beaux récits découverts depuis longtemps. Je le garde précieusement avec moi, partout, jusqu’à ce que je m’abreuve du tout dernier mot. Son pouvoir d’échappatoire est décuplé en ces moments sombres. « Annie au milieu » d’Émilie Chazerand. Retenez ce titre. Si vous ne le pouvez pas, ne vous inquiétez pas je vous en parlerai -longuement- ici, sur ce blog.
À ce récit divin s’ajoute un autre récit divin que j’aimerais vous présenter aujourd’hui. La seule première de couverture suffit à nous apporter la clairvoyance dont nous avons besoin. Et de l’espoir, qui est au cœur de cette histoire.

« Lightfall » peut aisément être une métaphore de notre monde. Celui dans lequel vivent Béa, l’héroïne, et tous les autres personnages, est un monde empli de dangers. Ce qui n’est pas perceptible, au premier abord, lorsqu’on rencontre la jeune fille. En effet, Béa vit tranquillement avec son grand-père adoptif, un Cochon-Sorcier, fabricant de potions et gardien de la Flamme éternelle. On devine néanmoins qu’avec un tel statut, il n’est pas n’importe qui. Et l’on comprend que les petits déjeuners ne peuvent être des éternels recommencements de moments parfaits, composés d’œufs brouillés et de tendres échanges.

Un jour, tout change. Plus rien n’est comme avant. Pas même une lettre ne pourra modifier cet état de fait.
« Chère Béatrice,
Je suis désolé si je t’ai paru distrait ce matin mais grâce à toi j’ai eu un flash. J’ai négligé un devoir de la plus haute importance. Je dois aller vérifier le Sceau du Dormeur sans repos ! Dommage qu’une tâche si cruciale repose sur les souvenirs brumeux et confus d’un vieux cochon comme moi.
J’ai, à vrai dire, complètement oublié où se trouvait le Sceau mais je suis sûr que ça me reviendra.
Je file !
Quoi que tu fasses, ne me suis pas ! C’est trop dangereux ! Mais si tu me suis, enfile un pull…«
Que faire alors ? Continuer à vivre une vie rassurante, même si un être aimé n’en fait plus partie ? Ou combattre son angoisse maladive pour retrouver celui qui donne un sens si manifeste à son existence ? La réponse, nous l’avons déjà, elle est en chacun de nous.
Si la réponse est tout aussi profondément évidente pour Béa, dans les faits elle est toutefois dantesque. La jeune fille ne peut vivre sans son grand-père adoptif mais elle doit, pour le retrouver, combattre ses angoisses. Elle n’est en rien une super-héroïne. Ses failles la constituent et les faire disparaître n’a rien d’intelligible. Est-ce qu’on se prend facilement d’affection pour un personnage fragile et sincère ? Oui, bien sûr que oui. On l’aime à la folie, notre petite Béa.

Elle se lance. Véritablement et par amour. Une quête initiatique s’ouvre à elle. Pour la mener, elle sera accompagnée de Cad, cet être étrange rencontré précédemment lors d’une cueillette. Ce personnage ambitionne également de trouver le Cochon-Sorcier car il représente l’unique espoir de connaître les siens. Il paraît que son peuple n’existe plus. Cad serait le dernier des Galduriens. La vérité, vous l’aurez devinée, il n’y en a qu’un qui la détienne : le plus sage des plus attachants des plus drôles des Cochons-Sorciers.
Cad est inénarrable tant il est badin et sage à la fois. Disons simplement que Maître Yoda n’a qu’à bien se tenir, il a désormais un adversaire à sa taille. Quel personnage dingue dingue dingue. Tout le monde devrait avoir la chance d’avoir un Cad dans sa vie. Quelqu’un qui lui explique que la gentillesse primera sur tout, que l’amitié est la clé de tout. De tout. Sans que ce soit mièvre. Juste parce que c’est indubitable.
« Mieux vaut marcher avec un ami dans l’obscurité que seul dans la lumière ».

Heureusement que Cad est là pour Béa et que Béa est là pour Cad. À deux, ils pourront peut-être déjouer la terrible malédiction qui menace d’éteindre la lumière du monde. Ah bon ? Re-bonjour la jolie métaphore qui nous parlera, maintenant plus que jamais. Et c’est bien pour cela qu’on a besoin de cet ouvrage. Pour l’espoir qu’il nous apporte. L’espoir qui nous fait tous vivre aujourd’hui et qui nous fera renaître demain.
Je n’en dirai pas plus. Regardez plutôt.
